Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui lui permirent de se pomponner et de sortir, les soirs d’été, montrer son museau dans les allées du Monument, où, promptement un brave vieux seigneur terrien la ramassa et la rendit mère. Elle n’avait alors que dix-sept ans.

Les deux années qui suivirent furent atroces pour la pauvre fille-mère. Son tuteur, un oncle de même espèce que la morte, fit d’elle et de son petit deux vrais martyrs. Si bien qu’un jour Loutchia confia à Adrien son intention de se jeter dans le Danube.

— Et ton amant, le boyard ?

— Il est gravement malade.

— Malade, mais riche et célibataire !

— Je n’ose plus l’embêter. D’ailleurs ses héritiers montent autour de son lit une garde difficile à franchir.

Adrien la franchit, lui, et trouva à qui parler. Un homme bon, sceptique, très instruit et presque heureux de quitter le monde. Quand le jeune homme eut fini de lui décrire la misère de son rejeton, ainsi que de lui apprendre la décision de Loutchia, il fondit en larmes.

— Écoute, mon garçon, lui dit-il, l’attirant sur sa poitrine et lui soufflant dans le visage une haleine fétide, écoute : j’ai déjà laissé à Loutchia un peu d’argent, mais si tu me promets de l’épouser, je lui fais une petite rente. Aimes-tu Loutchia ?

— Je l’aime comme amie d’enfance, répondit-il, décidant de tout promettre, mais de ne rien tenir.

— Eh bien, épouse-là ! Et voici !

Il griffonna quelque chose sur un papier, ferma et lui remit le pli :

— Porte cette lettre à mon notaire.

Ce disant il enlaça Adrien par le cou et l’embrassa paternellement.

Quelques mois plus tard, il déposait son âme entre les mains du Seigneur des boyards qui, leur vie durant, engrossent une douzaine de Loutchia mais ne laissent de rentes qu’à une seule. Par hasard.

L’heureuse héritière d’un revenu annuel de trois mille francs proposa le mariage à Adrien. Pour toute réponse, celui-ci se sauva à Bucarest. Elle suivit, le chercha et ne le trouvant