Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/109

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regain, face au ciel, et vit la lune, belle comme il ne l’avait jamais vue. La regardant, il crut n’être plus Zamfir : il était devenu l’Embouchure. Son corps était empli du chant des grenouilles, des soupirs des petits chiens affamés, de longues routes et de palissades qui tournaient en rond, de chaumières qui éteignaient leurs feux une à une, de puits qui levaient leurs bras au ciel. Et tel qu’il était là, allongé sur le foin, il croyait être traversé par la voie ferrée qui va de Braïla à Galatz. Pour toute âme, plus qu’une odeur : l’haleine du noaten, qui lui était familière pour avoir tant embrassé le museau de la bête.

Zamfir continua de regarder le disque lunaire. Il y vit se dessiner lentement une tête aux moustaches et aux cheveux touffus, aux sourcils riches, aux yeux limpides, grands ouverts, à la bouche charnue, prête à lancer la foudre ; au nez gros et un peu ridicule. C’était l’image de son père. — « Cours. »

Il voulut se lever et reprendre sa course, mais son corps ne broncha pas, semblable à l’Embouchure. Il n’en fut guère peiné. Il ferma les yeux, et, soudain, tout son être fut réchauffé par l’apparition d’une belle et forte jeune fille qui lui souriait joyeusement, l’air plaisant. Elle avait les cheveux défaits, les joues en feu, les vêtements en désordre, et semblait fatiguée, comme après une course folle à cache-cache. Zamfir tendit vers elle ses bras et gémit doucement :

— Tsatsa… Tsatsika… Tsatsa Minnka… Aide-moi à retrouver le noaten

C’était l’image de sa sœur, l’aînée de la famille. Elle s’appelait Minnka. Mais, dans l’Embouchure, les cadets ne peuvent pas appeler les femmes aînées simplement par leur prénom. Aussi, nous leur disons : tsatsa. Et quand nous voulons les caresser : tsatsika. (Aux hommes : néné, ou : nénika.) Là-bas, ces termes sont pleins de tendresse.