Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un nuage masquait à moitié la belle lune, tandis que Zamfir, tel un fantôme, rôdait le long des fossés circulaires dont toute propriété est pourvue. Il se disait que peut-être le noaten était tombé dans un de ces fossés et ne pouvait en sortir.

Vain espoir. Il avait fait le tour de toutes les propriétés du hameau : rien. Abattu, il se laissa choir sur un tronc d’arbre, la pensée distraite par le bruit des premières voitures qui partaient, chargées de raisin, vers le marché de Braïla. Tous les coqs annonçaient la fin de la nuit. Des paysans, dont Zamfir reconnaissait les voix, injuriaient leurs femmes et leurs bêtes, qui n’allaient pas assez vite. Puis, des pas lourds firent craquer des branches tout près de lui. Il voulut se sauver, mais la voix sympathique d’un habitant dont il était le petit ami, l’arrêta :

— Qui est là ?

— Moi, Zamfir.

— Ah, c’est toi, mon pauvre ! Tu es toujours à rechercher votre noaten ? C’est malheureux… Ton père savait bien qu’ici ce n’est pas un pays pour l’élevage. Il faut se débarrasser de la petite bête dès qu’elle vient au monde. C’est ce que je vais faire, moi, tout de suite. Regarde !

Sous les yeux, nullement émus, de Zamfir, le paysan fixa une corde à la branche d’un cerisier, fit un nœud coulant et, par terre ramassant un petit poulain, tout fumant encore du sang de sa mère, il lui passa le nœud autour du cou. La tendre bête ne se débattit même pas. Elle resta suspendue, molle, avec ses pattes informes, aux sabots gélatineux, et sa tête un peu trop grosse. Son bourreau masqua tout de même le spectacle, se plaça entre Zamfir et l’exécuté, essuya ses mains sur son pantalon, alluma une cigarette et dit, comme pour lui-même :

— C’est ainsi, chez nous. On ne peut pas perdre