Page:Europe (revue mensuelle), n° 97, 01-1931.djvu/61

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passion charnelle. On le maudit et on le bénit avec une égale ferveur. À la fin, on lui enleva la soutane et on le livra à son démon.

Il avait à ce moment trente ans, une puissante vie à dépenser et pas un sou dans la poche. Il disparut. On l’oublia.

Au bout de trente-cinq années, de vieilles gens de l’Embouchure identifièrent l’ancien prêtre Andreï Ortopan, dans la personne d’un beau vieillard, aux aspects de mendiant, mais tout guilleret, tout content, riche de forces physiques et prêt à secourir les vaincus. Il n’était pas seul. Un jeune homme, dans les dix-sept ans, l’accompagnait constamment : c’était Minnkou, son fils. On ne voyait jamais l’un sans l’autre.

Cela se passait pendant un été. Le père et le fils, toujours sans abri, couchaient là où la nuit les surprenait, bricolaient par toute la région, vivaient uniquement de légumes et ne faisaient de mal à personne, au contraire. On essaya de les faire parler. On n’en tira que des banalités, le fils étant trop jeune pour savoir quelque chose, et le père, malgré son air ouvert, sachant toujours opposer le mur de son silence à la curiosité villageoise. On finit par n’en plus faire aucun cas.

Mais un jour de l’année suivante, les paysans s’aperçurent que les plus belles nattes, les plus beaux paniers sortaient de la Japsha Rouge, sur le dos de Minnkou, qui les portait au marché de Braïla. Était-ce possible ? Car, vivre à Japsha Rouge, c’était habiter l’enfer même !

Et pourtant…

Sur un tertre, émergeant légèrement du niveau moyen des eaux, père Andreï avait accumulé quelques