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Page:Féron - L'aveugle de Saint-Eustache, 1924.djvu/25

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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

— Parlez ! cria Olive en s’avançant, menaçante encore.

— Non ! répliqua froidement Jackson en remettant le papier dans sa poche.

— Lâche ! rugit Olive en levant sa cravache qui siffla…

Mais elle poussa aussitôt un hurlement de rage… D’une main rapide le jeune homme avait saisi la cravache au vol et l’avait arrachée des mains de l’écuyère.

Olive s’était alors reculée avec un rauque grondement.

Mais Jackson, avec un sourire plein de profonde tristesse, lui tendit aussitôt la cravache :

— Reprenez, mademoiselle, dit-il, l’arme des forts !

— Lâche ! lâche ! lâche !… répéta Olive qui s’était mise à marcher à grands pas par-ci, par-là… des pas violents, saccadés, comme ceux d’une lionne qui s’apprête à bondir.

— Vous me traitez de lâche, mademoiselle Olive, pourquoi ? Vous êtes injuste !… Est-ce parce que j’ai oublié de vous dire que ce petit écrit dénonciateur et calomniateur porte la signature de votre prénom ?

— Vous mentez !

— Soit laissons là ce sujet. Vous avez tout bonnement voulu vous débarrasser de moi, de moi qui ne vous voulais que du bien…

— Oh ! s’écria Olive avec un rictus de sarcasme, ne venez plus me dire que vous m’aimez !

Un moment Jackson garda le silence. Il aimait Olive ; mais se sachant dédaigné, il voulait voir, en la poussant à bout, jusqu’où elle irait. Maintenant il semblait seulement vouloir la taquiner par simple passe-temps.

Aussi, aux dernières paroles de la jeune fille, répliqua-t-il un peu narquois :

— Mademoiselle, je ne pourrais vous avouer aujourd’hui, sans mentir, que je vous aime… J’en aime une autre !

Olive, à ces mots, s’arrêta net, demanda très moqueuse :

— Vraiment ?… Vous allez me dire, je gage, le nom de cette autre ?

— Mon Dieu… si vous l’exigez… sourit Jackson.

— Eh bien ! non… ne le dites pas…

— Ah ! Et Jackson parut surpris.

— Parce que je le sais… Oh ! je sais bien des choses moi aussi !

— Que savez-vous donc ? demanda Jackson qui, très curieux, se demandait quel mensonge Olive allait encore fabriquer.

— Je sais, monsieur Jackson, que vous êtes amoureux de Louisette.

Et comme l’Américain ébauchait un geste d’étonnement :

— Oui, oui, répéta Olive avec un sourire de profond mépris, je sais que vous aimez la petite niaise au père Marin !

Cette fois le jeune homme se contenta de sourire tranquillement.

Olive ajouta en ricanant :

— Mais je crains beaucoup que votre amourette ne fasse pas vieux os !

— Qu’en savez-vous ? interrogea Jackson qui décida de ne pas détromper Olive.

— Parce que je suis là !… rugit Olive, la menace à la bouche et jalouse déjà de celle qu’elle méprisait.

— C’est-à-dire, corrigea l’Américain, parce que vous me haïssez ?… Mon Dieu ! je le vois bien !…

— Oui !… parce que ma haine vous fera échouer !

— Et ma haine, à moi, après mon amour détruit, saura triompher de votre haine à vous. Et tenez, mademoiselle, je veux vous dire encore ceci : je ne partirai pas, je ne quitterai pas ce pays maintenant. Du reste, je suis curieux de voir jusqu’où iront aboutir les événements qui se préparent. Je veux y assister. Je veux aussi vous surveiller, car je vous sais, vous et votre famille, attachées aux ennemis du peuple. Vous vous êtes faite, pour votre part, l’espionne des patriotes… rien d’étonnant…

Olive l’interrompit brusquement :

— Misérable ! dit-elle avec une fureur concentrée.

— Qu’importe ! Et en ennemi galant je tiens à vous prévenir que, chaque fois que vous préparerez quelque traîtrise, vous me trouverez sur votre route. Donc, prenez garde ! Et à présent, mademoiselle, adieu !

Et le jeune homme, après une révérence courte, froide, tendit à Olive sa cravache et lui indiqua en même temps son cheval qui broutait l’herbe à quelques pas de là.

Livide et tremblante, Olive regarda le jeune homme bien en face et prononça plein de haine farouche et sanglante :

— Jackson, je vous défie de vous trouver sur mon chemin !

Avec cette bravade elle arracha violemment sa cravache des mains de l’Américain, tourna sur ses talons, marcha rudement à sa monture, sauta en selle et partit d’un galop furieux vers Saint-Eustache.

Longtemps Jackson écouta les échos. Puis, quand tout devint silence, il demeura rêveur et triste. Enfin, il releva la tête, soupira fortement, et murmura :

— Elle veut donc la guerre à tout prix ?… Soit, elle l’aura… Et pourtant, ajouta-t-il, comme je l’aimerais encore…

Et sous le fardeau de ces pensées amères