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Page:Féron - L'aveugle de Saint-Eustache, 1924.djvu/48

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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

Et comme Thomas esquissait un geste de colère :

Oh ! ne te rebiffe pas, ça ne servirait de rien. Oui, je te prends pour ce que tu es… Tu m’as menti tout à l’heure !

— Hein !…

Tu as voulu me tromper : je t’ai vu par cette fenêtre redescendre du grenier. Qu’as-tu fait à cette fille ? Réponds, misérable !

— Ah ! par exemple, on va voir si vous allez me traiter comme ça ben longtemps dans ma maison…

Thomas, avec un grincement de fauve, se précipita vers la table, saisit un coutelas à boucherie, revint menaçant et terrible.

Olive ne bougea pas. Elle se contenta de rire. Thomas se rapprocha la main demi levée, l’œil sanglant, la bouche tordue par la haine.

— Que veux-tu faire de ce couteau ? interrogea Olive sur un ton placide.

— Tu vas le savoir, fille maudite ! gronda Thomas. Et tout à coup il bondit…

Mais il s’arrêta net, puis recula avec un rugissement de douleur. Il échappa son couteau et porta vivement une main à sa joue droite sur laquelle apparaissaient quelques gouttelettes de sang. Car d’un coup sec de sa cravache Olive avait cinglé la figure du monstre.

— Brute ! s’écria Olive, est-ce de la sorte que tu agis avec les femmes ?

Thomas s’était reculé jusqu’au canapé sur lequel reposait le père Marin. Il n’était pas dompté encore. Tandis que d’une main il essuyait le sang de sa joue, tandis que ses yeux jaunes étincelaient de lueurs terribles, tandis qu’Olive ramassait le coutelas qu’elle rejetait sur la table, de l’autre main Thomas doucement décrochait du mur un fusil…

Olive l’aperçut à temps. D’un bond elle fut sur la brute, et pour la deuxième fois la cravache vola, siffla et fendit la joue gauche du misérable. Le fusil tomba par terre. Avec un cri effroyable Thomas s’écrasa sur un genou. Chancelant, serrant de ses deux mains sa face violacée et sanglante, il se mit à hurler de douleur.

La jeune fille le considéra un moment avec un suprême mépris ; puis d’une voix dure elle commanda :

— Relève-toi, lâche, et retiens bien ceci : à l’avenir tu m’obéiras. Cette obéissance, je te la paye assez cher, je pense, pour que tu me la donnes tout entière et sans rechigner. Maintenant, réponds-moi !

— Parlez, mademoiselle Olive, Larmoya Thomas, qui se levait tout penaud et très humble.

— Qu’as-tu fait de Louisette ?

— Rien, vous dis-je. L’accent de Thomas parut si sincère cette fois que la jeune fille fut satisfaite.

— Rien, soit. Néanmoins tu méditais des projets criminels, innommables… parle !

Thomas baissa la tête et répondit d’une voix hésitante :

— J’avais espéré… en faire… ma femme !

Olive se mit à rire avec mépris.

— Ta femme… de cette jeune fille ?… Mais ce serait encore un crime monstrueux. Écoute, ajouta-t-elle sur un ton concentré. Lorsque je t’ai confié cette jeune fille, je t’ai dit que sa personne était sacrée. Je t’ai dit qu’elle devait être respectée. Je t’ai dit qu’il fallait seulement l’empêcher de s’enfuir. Et je t’ai dit que tu m’en répondais sur ta tête. Est-ce vrai ?

— Oui, mademoiselle Olive.

— Bien, que cela soit donc définitivement compris ! D’ailleurs je vais bientôt te débarrasser de cette charge. J’ai découvert un endroit plus sûr que ta chaumière. Il est temps, je pense : car un de mes ennemis est tout probablement sur la trace de Louisette. J’ai cru le voir rôder de ce côté. Aussi vais-je prendre des mesures immédiates. Je reviendrai ce soir et te dirai ce que j’attends de toi. J’aurai peut-être de nouvelles instructions. Je veux donc être sûre que tu seras ici entre huit et neuf heures, et que Louisette y sera aussi. À propos, as-tu besoin d’argent ?

— Oh ! quelques écus seulement, répondit le monstre avec un sourire cupide ; car ma bourse par ces temps durs ne profite guère.

Olive tira une bourse et en vida le contenu sur la table.

— Prends ! dit-elle. Si je suis contente de toi, tu en recevras bientôt davantage.

Thomas, d’un bond, fut à la table, saisit l’argent et le fit disparaître dans sa poche avec une rapidité merveilleuse.

— À présent, reprit Olive, dis-moi comment il se fait que je trouve l’aveugle ici ?

— C’est une surprise qu’il m’a faite, et une peur en même temps, ricana Thomas.

Il narra l’arrivée imprévue du vieillard qui, comme il l’avait exprimé, était venu chercher sa petite-fille.

Et Thomas ajouta avec un sourire narquois :

— Il m’a parlé d’une vision… d’un rêve qu’il a eu… Mais j’ai si bien joué mon rôle d’innocent, que le vieux s’est empressé de me faire ses excuses. Comme il était bien fatigué, je lui ai donné un p’tit coup à boire, et il s’est endormi. Depuis, je me demande ce que je vais en faire.