Aller au contenu

Page:Féron - L'aveugle de Saint-Eustache, 1924.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

— Mes amis, prononça lentement Jackson, cet homme a reçu un juste châtiment. Mais je me demande comment cet événement s’est accompli.

— Rien de plus simple, déclara Le Frisé qui venait de découvrir la lucarne. Regardez vous-même cette lucarne, m’sieu Jackson : il y a là un grenier, Thomas s’y était réfugié, puis il a voulu s’enfuir, il a glissé, tombé, et s’est assommé sur la pierre de la muraille.

— Mais comment expliques-tu la manière dont il est accroché ? demanda La Vrille.

— Ah bien, ça, par exemple, ma vieille Vrille, je suis comme toi, je n’y comprends rien du tout !

Cependant Jackson, tout en méditant, examinait du regard la lucarne.

— Mes amis, fit-il au bout d’un moment, ou je me trompe fort, ou le mystère est là-haut, c’est-à-dire au grenier que nous n’avons pas visité.

— Oui, s’écria Guillemain, c’est au grenier qu’est tout le mystère, et ce mystère, je ne serais pas étonné qu’il s’appelle « Louisette ». Venez ! Et comme un fou, il s’élança vers la porte de la maison.

 

Louisette était déjà revenue de son évanouissement, mais elle ne paraissait plus se rappeler les événements tout au moins la scène terrible qui avait précédé sa chute. Elle se demandait avec une insistance maladive en quel lieu elle se trouvait.

Assise par terre, elle regardait comme avec étonnement la lucarne ouverte et la corde attachée à une solive. Elle se sentait environnée des ombres d’un mystère qu’elle essayait vainement de pénétrer. Puis ses regards alourdis erraient vaguement, à travers la lucarne ouverte, sur le ciel gris et bas. En dépit du froid qui la saisissait — peut-être aussi était-elle insensible à ce froid — elle demeurait immobile. Et comme une malade qu’on installe devant une fenêtre ouverte pour lui faire aspirer l’air pur du dehors, elle semblait attendre qu’on vînt la déplacer. Sa faiblesse devenait une sorte de torpeur puissante de laquelle elle était incapable de sortir.

Ce fut d’abord avec un regard indifférent et sans un éclat que la jeune fille aperçut tout à coup une tête amie passer par le trou de la trappe, puis une autre et encore une autre… Elle ne marqua aucune surprise en voyant paraître Albert Guillemain, son fiancé, elle ne prononça aucune parole, elle ne tendit pas ses bras. Elle se mit debout, un sourire pâle un instant courut sur ses lèvres sèches, puis elle chancela. Guillemain l’avait saisie à temps dans ses bras.

— Louisette !… qu’as-tu, ma chérie ? demanda le jeune homme très inquiet. Sois tranquille maintenant, tu es sauvée !

La jeune fille alors entoura le cou de son fiancé de ses deux bras, laissa tomber sa tête blonde sur l’épaule du jeune homme et se mit à pleurer silencieusement.

Jackson et les autres Patriotes demeuraient silencieux, n’osant troubler cette douleur profonde. Et le silence qui suivit fut pénible : chacun de nos personnages avait sur les lèvres des paroles de compassion, et pourtant pas une bouche ne s’ouvrait. Albert Guillemain lui-même, tenant Louisette dans ses bras, gardait le silence, sombre, souffrant atrocement de la souffrance de sa fiancée.

Et alors, tout à coup, ce silence lourd et funèbre fut traversé par le crépitement d’une fusillade apporté par les échos du matin.

Un vif tressaillement secoua tous les personnage de cette scène, Louisette elle-même leva la tête, et regarda, surprise, Guillemain. Puis tous les regards se cherchèrent pour se confondre ensuite dans une même inquiétude.

Jackson s’élança vers la lucarne, se pencha en dehors et prêta l’oreille.

Une minute se passa dans un silence de mort, puis le grondement lointain d’un canon franchit l’espace.

L’Américain retira vivement sa tête pâle et dit d’une voix grave :

— Cela vient de Saint-Eustache… on se bat !

Tous frémirent.

Et alors Louisette, à son tour, s’élança vers la fenêtre. Elle avait retrouvé comme par magie toute sa vigueur. Elle aussi pencha son front livide dehors pour écouter. Et de nouveau la même fusillade lointaine se fit entendre.

Louisette revint vers Guillemain, tremblante :

— Oui, dit-elle, on se bat à Saint-Eustache… chez nous ! Et grand-père qui est peut-être seul à la maison

— Rassure-toi, Louisette, dit Guillemain : Octave et Georges sont là pour veiller sur lui.

De nouvelles détonations retentirent… et d’autres encore plus prolongées.

— Mes amis, dit Jackson, les troupes du gouvernement attaquent Saint-Eustache et les Patriotes leur tiennent tête.

— En ce cas, s’écria La Vrille, nous som-