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la belle de carillon

Valmont, après avoir salué militairement le général et ses officiers.

Alors seulement Mme Desprès répondit à l’interrogation de Montcalm :

— Oui, mais ce n’est pas mon mari qui, le premier, a employé un langage violent. Tout ce qu’il avait dit au Capitaine, c’était de retourner à son poste et d’attendre le retour des chefs, s’il voulait avoir des outils. Le Capitaine, alors, a usé d’un langage qui n’était par celui d’un subordonné à son supérieur. Mon mari en fut froissé, mais il ne fut nullement le provocateur. Au contraire, le véritable provocateur fut bien le Capitaine en déclarant qu’il prendrait des outils par la force.

— Moi, ici, j’interviens… proféra tout à coup et rudement Bertachou. Moi aussi, général, ajouta-t-il, je dois avoir un mot à dire.

— Ah ! au fait, sourit Montcalm. vous étiez là aussi ?

— Parfaitement, Général, j’étais là de même que je suis ici. Car, voyez-vous, Bertachou, sans vouloir se vanter, est toujours là où il y a du danger !

— Mais ici il n’y a point de danger, fit Lévis avec un sourire ironique.

— Pardon, Monsieur le Chevalier, il y a du danger pour mon Capitaine !

Quelques officiers se mirent à rire. Bertachou s’indigna.

— Oh ! s’écria-t-il en haussant sa taille comme avec défi, ce n’est pas, il me semble, le moment de rire, sacrediable ! On rit, on bave, on pleure, on se mouche… quand on veut et tout ça regarde un quiconque, mais tout ça aussi doit se faire en son temps et en son lieu. Ici, c’est pas le lieu pour rire ou pleurer. Pleurer, passe ; mais rire, jamais, et encore moins à la face de Bertachou ! Ah ! qu’on vienne donc me rire au nez, pour voir !

Lui rire au nez ! Mais on ne riait plus… les rires s’étaient étouffés, les sourires même s’étaient effacés, Bertachou le voyait bien ! N’importe ! Et il continua :

— Et dites-moi donc, vous autres, qui de vous rirait si on lui retirait son épée et si on le traduisait devant un tribunal comme un vulgaire coquin ? Oui, dites ?

— C’est bon, fit Montcalm qui, connaissant Bertachou, redoutait que le lieutenant ne se laissât aller à sa volubilité coutumière. Et puisque vous étiez là, dites-nous comment les choses se sont passées au juste.

— Voilà, Général. Le capitaine m’envoie avec quatre pions pour demander des haches et des scies dont nous manquions. Mais hue à droite !… Oui, le Commissaire nous esbrouffe d’abord, puis nous fait décamper les mains vides, tout comme si nous n’avions pas eu de mœlle dans les os. Naturellement, les oreilles m’ont tinté ; je suis bien pour la consigne, mais la rebuffade me fait voir tout rouge. Alors, quand on me rebuffe, v’lan, ça y est ! C’est pourquoi j’eus bien envie de coller au Commissaire quelques mots de ma part, sauf votre respect. Madame… Mademoiselle… Mais je me contins, et j’allai rapporter la chose à mon capitaine. Lui me dit comme ça, et pas trop content, comme vous le devinez : « C’est bien, venez avec moi, j’en aurai des outils » !… Et il a dit vrai, Général, nous en avons eus, acheva Bertachou sur un ton énergique.

— Mais comment les avez-vous eus ces outils ? interrogea Montcalm, amusé.

— De la façon la plus simple : on les a pris, v’là ! Voyez-vous, le Commissaire voulut faire pirouetter le Capitaine de la façon qu’il nous avait fait tourner les talons. Mais le capitaine, vous le savez, ne pirouette pas comme ça, rien qu’à le dire. Il a déclaré qu’il ne s’en irait pas sans les outils. Le commissaire lui commanda de quitter les lieux. Le capitaine refusa de mouver les pieds. Alors d’un mot à l’autre on s’est dit des choses à brousse-poil, mais rien pour tuer un homme en bonne santé comme le commissaire ou le capitaine. Seulement, le commissaire, lui, trouve qu’il y en a assez pour faire des armes, et pan ! il donne rendez-vous au Capitaine pour huit heures. Et bien, alors, dites-moi qui a péché le plus mortellement ?

— Il n’y a donc pas eu de geste offensant ? demanda encore Montcalm.

— Oh ! demi-geste seulement, Général, mais assez grave tout de même… Oui bien, le Commissaire a levé la main sur le capitaine.

— Ah ! ah ! fit Montcalm. Et qu’a fait le Capitaine ?

— Le Capitaine, Général, est un homme à poil comme vous et moi, et, dame ! il a relevé le geste. C’est-à-dire qu’il m’a commandé de prendre les outils. Et je les ai pris avec les quatre pions qui m’accompagnaient. Et là, Général, dites maintenant si vous-même ou quiconque de cette hono-