Page:Féron - La prise de Montréal, 1928.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
LA PRISE DE MONTRÉAL

matériels et sociaux à des bandes révolutionnaires affectant un puritanisme outré et niant toute religion et croyance en Dieu, s’unissaient pour prêcher la loyauté à l’Angleterre et le soutien de sa cause afin, par là, de sauvegarder plus sûrement les droits et privilèges actuellement acquis à la race canadienne. Une effervescence désordonnée mettait le pays en fièvre, et il arriva que le peuple des campagnes préféra demeurer neutre : s’il avait une grande sympathie pour l’Angleterre, et sentait l’opportunité de défendre sa cause, il lui répugnait d’un autre côté de prendre les armes contre les Américains qui, par leurs bulletins de propagandes, lui assuraient le respect de sa propriété, de ses coutumes, de sa langue, de ses autels.

En de telles circonstances le gouvernement du Canada se trouvait dans une situation bien difficile et il ne laissait pas que d’être perplexe devant les menaces d’invasion des insurgés américains. À vrai dire, le gouvernement était sans troupes : quelque six cents hommes seulement composaient sa force armée régulière. Il est vrai aussi que les seigneurs canadiens avaient offert leurs services à la tête de leurs censitaires, et que nombre de bourgeois des villes comptaient muer en miliciens les artisans. Mais lorsque les seigneurs firent l’appel de leurs gens, les paysans, pour la plupart, se déclarèrent neutres. Seuls quelques centaines d’ouvriers consentirent à se laisser enrégimenter. Ces forces groupées ensemble n’eussent représenté qu’un bien mince effectif devant les nombreux régiments que les Américains enrôlaient sous leurs drapeaux. On fit appel aux Sauvages, mais l’on ne put obtenir qu’un faible concours de la nation iroquoise qui avait quelques griefs contre les colons de l’Atlantique. Bref, le gouvernement Carleton put difficilement réunir deux mille hommes pour la plupart miliciens et sauvages, qu’il dut éparpiller par bandes inoffensives entre Québec et la frontière.

Ce que voyant, Carleton proclama la loi militaire, et bon gré mal gré le pays dut se préparer à repousser les Américains. Mais déjà ceux-ci avaient franchi la frontière et s’étaient emparés de tous les postes importants du lac Champlain. Déjà aussi, alors qu’on avait à peine commencé l’organisation de la défense, les milices américaines se trouvaient devant le fort Saint-Jean qui était, pour ainsi dire, la première porte ouvrant sur Montréal. Ces milices américaines, fortes de trois mille hommes étaient commandées par le valeureux Richard Montgomery. Si encore Carleton n’eût eu à combattre que cette troupe… Mais on savait qu’une colonne américaine, sous les ordres du colonel Arnold, marchait contre Québec, par les Monts Alléghanys. D’autres forces insurgées menaçaient le pays par les Grands Lacs. C’est alors que le gouverneur Carleton constata l’insuffisance de ses troupes.

Il crut comprendre que la menace la plus immédiate venait de la colonne de Montgomery, et doutant du succès d’Arnold dans sa marche hasardeuse par les Apalaches il résolut d’abandonner temporairement Québec pour courir au secours de Montréal d’où il dirigeait les opérations militaires. Mais peut-être avait-il compté sans la chute aussi rapide du Fort Saint-Jean qui, après un siège de 45 jours, se rendit à l’ennemi.

On était alors au trois novembre.

Les Américains, maîtres d’une clef importante, et ayant désarmé la garnison du Fort, c’est-à-dire près de six cents combattants sur lesquels le pays ne pouvaient plus compter se divisèrent en deux colonnes, l’une marchant du côté de Sorel et Trois-Rivières, l’autre contre la ville de Montréal et conduite par Montgomery en personne.

Jusque-là le pays avait espéré de refouler les envahisseurs, et cet espoir s’était attaché aux esprits depuis l’événement militaire survenu au mois de septembre de cette même année sur l’Île de Montréal.

On sait que le colonel américain Allen avait réussi avec une faible troupe à aborder l’Île de Montréal. Le major anglais Garden et quelques centaines de Canadiens s’étaient jetés contre les américains à la Longue-Pointe. Mais Garden, ayant mal pris ses dispositions, avait été repoussé dans les murs de la cité. Allen de son côté, ne se croyant pas assez fort pour attaquer la ville, et ses forces, du reste ayant été affaiblies par cet engagement prématuré, avait paru abandonner son entreprise en quittant l’Île de Montréal. On avait mis cette retraite inespérée de l’ennemi sur le compte du découragement, et alors l’es-