Page:Féron - La prise de Montréal, 1928.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
LA PRISE DE MONTRÉAL

poir avait remonté à son niveau dans l’esprit des défenseurs du pays.

La prise du Fort Saint-Jean par Montgomery arriva comme un coup de foudre, et le trouble aussitôt envahit tout le pays.

Le onze novembre au matin la nouvelle circula par la cité de Montréal que les Américains, avec une armée dont on exagérait le nombre et l’importance, s’approchaient pour tenter attaque par trois côtés à la fois. À ce moment, le gouverneur Carleton se trouvait dans les murs de la ville. Voyant qu’il n’avait pas les forces nécessaires pour supporter avec succès l’attaque ennemie, apprenant en outre que le colonel Arnold approchait de Québec par le Sud, il résolut de sauver d’abord la Capitale. Il confia le sort de la cité à une faible garnison, dont une bonne partie était gagnée aux Américains, et aux citadins qui, pensait-il, feraient tout en leur pouvoir pour défendre leur ville, avec ses officiers et soldats amenés de Québec il s’embarqua sur des navires qui avaient reçu ordre d’appareiller sur le Lac Saint-Louis et cingla vers Québec.

Bien que le départ de Carleton ne fut pas précisément une désertion, l’événement avait dérouté les calculs des citoyens de la ville et diminué leur confiance. Ceux-là qui favorisaient la révolution américaine et en appelaient le régime sur le pays, tous d’origine anglaise pour la plupart, se réjouirent grandement, et déjà ils avaient hâte de tendre leurs mains aux envahisseurs. Mais il n’en était pas de même des Canadiens, car pour ces derniers c’étaient leur ville et leur patrie qui se trouvaient pour ainsi dire livrées à un ennemi qu’ils ne désiraient nullement. Tous braves et courageux qu’ils étaient, ils se crurent devant l’inévitable et d’un cœur meurtri acceptèrent l’infortune. C’était le complet découragement et à la plus grande joie des partisans des insurgés américains. Mais à cette époque, heureusement, comme à la nôtre d’ailleurs, fermentait dans le pays une jeunesse patriotique et ardente. Montréal comptait plusieurs jeunes hommes de la bourgeoisie et de l’ancienne noblesse française qui réagirent avec vigueur. Un mot d’ordre fut lancé dans le peuple, et la défection s’arrêta tout à coup, sur le point qu’elle avait été de devenir générale et funeste. Or, ces jeunes hommes, en qui battaient un cœur toujours français et un amour inaltérable pour la patrie canadienne, avaient clamé :

— Canadiens ! Canadiens !… défendons coûte que coûte nos foyers et nos temples ! Si nous sommes de vrais hommes, montrons-le à l’univers entier !

Ah oui ! de vrais hommes, il y en avait…

L’enthousiasme reprit le dessus, le sang avait parlé, le cœur battu comme aux jours des grands combats et des belles victoires. Et alors Montréal s’était tout à coup sentie armée pour le combat !

Voilà comment nous avons trouvé au chapitre précédent de ce peuple canadien si exubérant et si plein de confiance, qui demandait des armes pour combattre les Américains. Dès maintenant nous allons assister à l’âpre lutte que se livrèrent les partis adverses : c’est-à-dire le parti qui soutenait la cause de l’Angleterre et celui qui optait pour le régime américain.

III

ROYALISTES ET INDÉPENDANTS


Armé des fusils enlevés des casernes, le peuple s’était rué vers la place du marché où le chahut semblait tourner à l’émeute.

Là se trouvaient réunis en grand nombre des commerçants et des bourgeois anglais.

Car tout près du marché se tenaient les séances des deux comités qui dirigeaient les deux partis rivaux de la ville : le comité des Royalistes et celui des Indépendants. Le premier, nous l’avons dit, représentait l’élément canadien et prêchait la défense du pays ; l’autre, soutenu par les Anglais, pactisait avec les révolutionnaires américains. L’un voulait défendre la cité à tout prix, l’autre la livrer à l’ennemi.

C’était dans une immense baraque située sur un côté du marché que se tenait en permanence le Comité des Royalistes dont le chef reconnu et respecté était Maurice D’Aubières. D’Aubières était un jeune homme qui venait d’atteindre la trentaine et qui appartenait à la haute bourgeoisie de la cité. Son père était un des plus riches armateurs du pays, et Maurice, qui venait de terminer de brillantes études, entrait dans la carrière de son père afin de seconder ce dernier dans ses nombreuses entreprises et lui succéder plus tard. Au