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Page:Féron - La vierge d'ivoire, c1930.djvu/26

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LA VIERGE D’IVOIRE

— Mais si Lysiane doit mourir ?

— Qui sait ? Elle peut vivre encore plusieurs jours

— Soit. Demain je ferai mettre l’avis dans tous les grands journaux de la ville.

Le silence s’établit encore.

Au bout d’un moment l’agonisante balbutia sans relever ses paupières :

— Je voudrais ma petite Vierge d’Ivoire !

C’était une supplication désespérée.

Mme Roussel pencha ses lèvres sur le front de sa fille et lui murmura :

— Lysiane, tu l’auras ta petite Vierge d’Ivoire !

La jeune fille sourit et ouvrit les yeux.

— Vrai, maman ? fit-elle avec un regard reconnaissant.

— Oui, ton père va la demander dans les journaux, et on te la rapportera sûrement.

— Oh ! que je serais contente ! Il me semble, maman, que je serais mieux… il me semble que je pourrais vivre encore !

Et elle continua de vivre, la pauvre enfant, malgré les craintes exprimées par le docteur Rouleau, ou mieux elle se retint accrochée à son dernier souffle d’existence. Car, le lendemain, Lysiane était encore vivante. L’espoir de ravoir sa petite Vierge d’Ivoire la retenait peut-être dans le monde des vivants. Mieux que cela : elle paraissait avoir repris un peu de force, elle sortait plus souvent de son état comateux.

De bonne heure ce jour-là M. Roussel se rendit aux bureaux des grands journaux et fit inscrire l’avis pour retrouver la statuette d’ivoire ; une belle récompense était promise à qui la rapporterait.

Et durant tout ce jour Lysiane ne cessa de répéter dans un balbutiement à peine perceptible :

— Je voudrais bien avoir ma Vierge d’Ivoire !

Chaque fois que Mme Roussel entendait cette supplication, elle promettait à sa Vierge d’Ivoire, elle l’assurait que bientôt, ce soir peut-être, demain à coup sûr, on lui rendrait sa statuette.

Et il faut croire que cette promesse exerçait une certaine influence heureuse sur l’organisme défait de la malade, car la vie semblait revenir peu à peu.

Mme Roussel, maintenant, vivait de l’espoir qui faisait vivre sa fille.

Mais au soir survint un changement qui fut un nouveau coup terrible pour le père et la mère de la malade

Monsieur Roussel avait dit à Lysiane :

— Ma chère enfant, tous les journaux ont demandé ta Vierge d’Ivoire. Espère… tu l’auras bientôt !

La jeune fille avait fermé les yeux et de sa poitrine s’était exhalé un long soupir ; puis elle était demeurée plus immobile que jamais, plus inerte, plus livide. On ne percevait plus rien de sa respiration. Seulement, on découvrait sur les lèvres qui s’étaient fortement pressées l’une sur l’autre comme l’ombre d’un sourire céleste.

M. Roussel et sa femme poussèrent un cri :

— Elle est morte !…

— Ô mon Dieu !… Ô mon Dieu !…

Et à genoux près de la couche funèbre la mère douloureuse s’était écrasée, incapable de pleurer mais laissant entendre des gémissements lugubres.

Mais non Lysiane n’était pas morte encore !


VII

QU’ÉTAIT DEVENUE LA VIERGE D’IVOIRE


Ce soir-là, comme d’habitude, Philippe Danjou avait soupé chez Amable Beaudoin. Après avoir causé un quart d’heure avec Eugénie, très heureux, le jeune homme avait pris le chemin de son appartement sur la Place Viger.

Les soirs qu’il ne sortait pas, Philippe lisait. Il lisait les journaux d’abord, les livres nouveaux ensuite.

Après être entré chez lui, il alluma sa pipe et déploya LA PRESSE, journal qu’il semblait préférer aux autres.

Il neigeait ce soir-là, et l’on se sentait mieux à l’aise dans une chambre tiède et confortable que dehors, dans l’humidité et sous la neige molle qui tombait par gros flocons.

Durant une bonne demi-heure Phi-