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Page:Féron - La vierge d'ivoire, c1930.djvu/27

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LA VIERGE D’IVOIRE

lippe parcourut le journal. Tout à coup il laissa passer entre ses lèvres une exclamation de surprise, puis ses yeux s’agrandirent outre mesure et il murmura :

— Voyons ! est-ce que je ne vois pas deux au lieu d’un ?

Et il relut à mi-voix ce qui l’avait frappé.


OBJET PERDU


Au mois d’octobre dernier une petite statuette en ivoire, représentant la Vierge-Marie, a été perdue entre l’Église Notre-Dame et le No 1224 C rue Sainte-Famille, en passant par la rue Saint-Laurent et la rue Sainte-Catherine. La personne qui aurait trouvé cette statuette est ardemment priée de la rapporter sans délai rue Sainte-Famille. Une belle récompense lui sera donnée.

— Mais, s’écria Philippe tout ébahi, le numéro 1224 C c’est la résidence de mon patron, M. Roussel !… La petite statuette d’ivoire ! ajouta-t-il en réfléchissant.

Soudain il bondit.

— Oh ! mais, c’est moi qui l’ai trouvée cette statuette, s’écria-t-il encore. Je l’avais bien oubliée ! La Vierge d’Ivoire… Mon Dieu ! quelle coïncidence… Mais je sais où elle est cette Vierge d’Ivoire !…

Philippe jeta son journal sur une chaise, mit son paletot et sortit rapidement de sa chambre. Dehors il allait comme un fou, il lui arriva de bousculer près de la rue Saint-Denis une personne qui le croisait. Il s’excusa et poursuivit sa marche à grandes enjambées vers le restaurant d’Amable Beaudoin sur la rue Notre-Dame. Il était environ huit heures à ce moment-là.

Amable Beaudoin demeurait seul dans son établissement ; Eugénie et son frère Adolphe étaient montés en haut, parce que les clients se faisaient rares par ce soir de neige.

En voyant paraître Philippe et en remarquant l’inquiétude de sa physionomie et la rudesse de sa marche, le bossu ne put retenir une exclamation de surprise.

Le jeune homme était tout blême et son air était tout à fait curieux à voir. Jamais Amable ne l’avait vu comme ça.

C’est presque avec effroi qu’il le regarda venir à lui.

Il pensa :

— Quoi ! est-ce que ce jeune homme est devenu fou maintenant ?

Oui, vraiment, Philippe avait l’air d’un fou.

Et sa voix tremblait étrangement quand il parla, elle était méconnaissable.

— Monsieur Beaudoin, vous souvenez-vous de la petite statue que je vous ai donnée il y a deux mois passés ?

— Hein ! la statuette d’ivoire ?

Le brave homme avait fait un saut en l’air.

— Oui, vous vous en souvenez, n’est-ce pas ?

— Oui. Est-ce que vous voulez la ravoir ?

Il était aussi blême que Philippe.

Celui-ci expliqua :

— Elle n’était pas à moi. Je l’avais trouvée ce jour-là même et je ne pensais pas qu’elle pouvait valoir quelque chose. Tenez, lisez ceci !

Ce disant, il mit sous les yeux du restaurateur l’avis qu’il avait lu.

Amable blêmit davantage.

— Mais connaissez-vous ces gens-là ? demanda-t-il.

— Si je les connais… c’est l’adresse de mon patron, monsieur Roussel !

— Monsieur Roussel !

— Comprenez-vous qu’il me faut cette statuette, afin que je la rapporte à qui elle appartient ?

— Oui, oui, mon ami, vous avez raison, il faut la rendre à celui qui l’a perdue ! Attendez-moi, je cours la chercher !

Et tout tremblant, tout chancelant, le pauvre bossu courut en effet à un escalier de service placé au fond de la cuisine et grimpa à son logement.

En voyant l’entrée précipitée du restaurateur et en remarquant sa pâleur, sa femme, Eugénie et Adolphe le regardèrent curieusement.

— Es-tu malade, Amable ? interrogea la femme.

— Non. Mais vous ne pouvez pas savoir ce qui nous arrive !