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LA VIERGE D’IVOIRE

Déjà Philippe s’impatientait. Oh ! c’est qu’il lui tardait de courir chez M. Roussel avec la petite Vierge d’Ivoire.

— Cette statuette m’a porté bonne chance, et si je la donne, cela me portera peut-être malheur. Philippe, je la garde !

— Hortense, tu es folle !

— Non. Je la garde, elle est à moi maintenant !

— Mais c’est un vol !

— Je l’ai trouvée !

— Qu’importe !

— Un objet trouvé n’est pas un objet volé !

— Non, peut-être… quand on ne sait pas qui en est le propriétaire. Mais là, Hortense, tu le sais, tu connais le propriétaire !  !

— Ça ne fait rien, je garde la statuette !

Une secousse de colère violente fit trembler Philippe. L’obstination de la jeune fille faisait bouillonner son sang. Il essaya de raisonner Hortense.

— Hortense, si tu gardes cette statuette quand tu sais à qui elle appartient, tu commets une bien vilaine action. Cette action est presque un crime, quand la perte de cet objet peut faire mourir une jeune fille que ses parents aiment beaucoup. Car elle mourra, cette jeune fille, à moins que sa Vierge d’Ivoire ne lui soit rendue. Elle ne cesse de la demander. Ah ! si tu l’entendais, une fois seulement, lorsqu’elle murmure avec son sourire livide et désespéré : « Je voudrais bien avoir ma Vierge d’Ivoire ! »

— Hortense, rends-moi la statuette ! supplia Philippe.

— Non… je la garde !

— Oh ! Hortense ! Hortense ! es-tu si méchante ?

— Tu sais bien, Philippe, que je ne suis pas méchante. Tiens ! je vais faire un marché avec toi.

— Dis !

— Quand je serai mariée, je te la rendrai !

— Quand tu seras mariée ?

— Je me marie à Pâques.

— À Pâques ! Mais, malheureuse, la fille de M. Roussel a le temps de mourir cent fois !

— Elle ne mourra pas, Philippe. Je veux me marier.

— Prends garde, Hortense, que ton entêtement ne te porte malchance !

— Je te la rendrai à Pâques, Philippe.

— Eh bien ! non. Moi, je la veux de suite !

Cette fois la figure de Philippe était menaçante.

— Tu vas me la prendre de force ? se mit à rire la jeune fille.

— S’il le faut, oui.

— J’aimerais voir ça !

— Tu vas le voir, Hortense. Donne moi la statuette !

— Non !

— Tu me la donneras !

Philippe brusquement saisit les deux mains d’Hortense.

— Oh ! par exemple, ne fais pas le vilain comme ça !

— Donne-moi la statuette, Hortense !

Philippe rugissait et serrait les deux mains à les briser.

— Donne la statuette !

— Tu me fais mal, Philippe !

— Jamais !

— Donne !

— Lâche-moi !

Avec une vigueur insoupçonnée Hortense dégagea ses mains prisonnières dans celles de Philippe et repoussa rudement le jeune homme.

Lui jeta un hurlement de rage, fit un bond vers la jeune fille et lui saisit la gorge qu’il se mit à serrer fortement.

— Ah ! veux-tu m’assassiner, Philippe ? râla Hortense que la frayeur tuait à demi.

— La Vierge d’Ivoire, vite ! commanda Philippe dont le visage était effrayant. à voir.

— Au secours ! cria Hortense.

— Tais-toi, misérable, et obéis !

— Laisse-moi ! À l’aide ! à l’aide.

— La statuette ! vociféra Philippe.

— Au secours ! On me tue !

Dans la maison un bruit de pas et de voix se fit entendre.

Mais Philippe ne percevait rien.

— Hortense, si tu ne me rends pas la Vierge d’Ivoire, je vais te tuer !