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LA VIERGE D’IVOIRE

Philippe souhaita bonne chance à cette amie d’Hortense et, presque fou, il rebroussa chemin et se dirigea à grande allure vers la demeure de son patron pour l’informer de l’excellente nouvelle.


X

L’IRRÉDUCTIBLE HORTENSE


Hortense Deschênes était revenue à Montréal le 16 janvier.

Le soir même de ce jour Philippe se rendit en toute hâte sur la Place Jacques-Cartier.

Il trouva Hortense très gaie… si gaie qu’elle lui sauta au cou en criant :

— Un revenant ! Eh bien ! c’est le premier que je vois en ma vie, je l’embrasse !

Elle paraissait folle de joie.

— Tu sais, Philippe, je me marie !

Elle le tutoyait comme un frère.

— Oui, je sais, et je te félicite. Mais je suis venu pour autre chose, Hortense, que pour t’apporter mes félicitations et t’offrir mes vœux de bonheur.

— Ça m’est égal pour quoi tu es venu. Je gage que tu ne connais pas mon futur mari ?

— Si j’accepte le pari, tu vas perdre : c’est Fernand Drolet.

Hortense regarda le jeune homme avec surprise et dit :

— Je vois que tu as fait la rencontre de Jeanne Dumais.

— C’est vrai. Mais Fernand te dira lui-même que lui et moi nous sommes de vieux amis.

— Vrai ? vrai ? tu ne veux pas blaguer ?

— Quand je te le dis !

— Mais comment se fait-il qu’il ne m’ait pas parlé de toi ?

— Et toi-même, lui as-tu parlé de moi ?

— Non.

— Eh bien ! dans le feu de votre amour vous avez oublié vos amis, même les meilleurs. Que veux-tu, Hortense ? c’est ce qu’on appelle l’égoïsme humain, une tare ineffaçable dans notre nature. Mais je reviens à ce qui m’amène, car je suis pressé.

— Oui, tu as l’air à ça. Que veux-tu ?

— Je viens te demander si tu as encore la petite statuette d’ivoire que tu as trouvée à la buanderie ?

Hortense regarda Philippe avec étonnement.

— Est-ce qu’elle t’appartient par hasard ?

— Es-tu bien certain de ça ? demanda Hortense, défiante.

— Veux-tu savoir autre chose, Hortense ?

— Dis, pour voir !

— Cette statuette, je l’avais déjà eue en ma possession, et je l’ai perdue.

— Alors, c’était à toi.

— Non comme toi je l’avais trouvée.

— Tu ne me dis pas !

— Je te l’affirme.

— Mais qui l’avait donc perdu d’abord ?

— Lis cela !

Philippe lui tendit une découpure de journal.

Hortense lut lentement l’avis que M. Roussel avait fait insérer dans les journaux. Puis elle esquissa une moue dédaigneuse et demanda en rendant le bout de papier à Philippe :

— Tu connais ces gens-là ?

— C’est mon patron.

— Ah bien ! ne m’en colle pas, hein !

— Je te jure…

— Et cette statuette, c’était à lui ?

— Non ! c’était à sa fille.

— Ah ! il a une fille ?

— C’est tout comme… c’était à sa fille.

— Oui et elle est bien malade.

— Tiens ! Est-elle jolie ?

— Peut-être…

— Peut-être ?

— C’est une moribonde… elle se meurt. Elle demande sans cesse sa Vierge d’Ivoire. Donne-moi la statuette, Hortense.

La jeune fille avait perdu son sourire, et ses sourcils contractés se rapprochaient pendant qu’elle paraissait réfléchir. Au bout d’un moment elle demanda :

— Sais-tu une chose, Philippe ?

— Allons, parle, mais dépêche-toi !