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LA GUERRE ET L’AMOUR

sition. Il se pencha vers le feu, qui n’était plus que des braises étouffées, à peine tiède et, saisissant un long tisonnier posé près des chenets, il remua ces braises, posément, lentement, faisant jaillir et crépiter des gerbes d’étincelles. Puis, satisfait du bon lit de braises rouges qu’il venait d’étendre, il se leva, alla, au bûcher, tout à côté de la cheminée, y prit trois bûches et revint devant le feu. Sur les braises il posa d’abord deux bûches côte à côte, mais en laissant entre elles une distance de quelques pouces ; puis sur ces deux bûches et de façon à couvrir l’espace qui les séparait il posa la troisième, bien en ligne avec les deux premières. Dans tout ce qu’il faisait, Max mettait le plus grand soin, agissant avec lenteur, précaution et une prudence remarquable. Il semblait posséder la vertu de patience, une patience que rien ne rebutait.

Dès que les bûches se mirent à pétiller et la flamme à monter, Max s’étendit sur le plancher nu, assez près du feu pour en recevoir la tiédeur, car le froid de la nuit envahissait peu à peu la maison. Il s’allongea commodément, sur le dos, ses deux mains jointes sous sa tête et son bonnet de castor, qu’il n’avait pas enlevé. Il s’endormit.


DEUXIÈME PARTIE

Le Siège


Ce fut dans la nuit du premier mai que les Anglais s’approchèrent de Louisbourg. Les glaces avaient été emportées vers la haute mer, et rien ne barrait plus la route à l’ennemi. C’était bien l’ennemi, en effet, venu quelques jours auparavant mouiller ses bâtiments à cinq milles des côtes de l’Île Royale. Ceux-là qui avaient paru douter de cette vérité devaient bien en convenir aujourd’hui. Et dès le matin deux mai, quand ils aperçurent la flotte anglaise rangée en ligne de bataille, à une faible portée de canon, l’ombre même d’un doute ne pouvait subsister.

Si les glaces avaient laissé la voie libre aux Anglais, il leur restait encore, avant de pouvoir mettre la main sur Louisbourg, d’épaisses et solides murailles à abattre… solide du moins en apparence. Il y avait aussi l’étroitesse du goulet qui interdisait l’entrée du port. Au surplus, cette entrée se trouvait fort bien défendue, d’abord par une batterie à fleur d’eau, posée près d’un îlot dans le bassin ; ensuite par la batterie royale, installée sur la terre ferme de l’autre côté du goulet et d’où elle commandait le port, la ville et la mer. Or s’engager dans cet étroit couloir d’eau pour atteindre le port et la ville, c’était venir se mettre entre deux feux horizontaux et immédiats, sans compter les feux plongeants de la forteresse.

Aussi, l’amiral Warren, qui commandait la flotte ennemie qu’on pourrait appeler « la flotte bostonnaise », puisqu’elle venait directement de Boston, avait tout de suite jugé inutile et, surtout, dangereux ou, du moins, fort risqué, de tenter l’entrée dans le port. Tout ce qu’on pouvait faire pour le premier moment, c’était de bombarder la ville, d’abattre ses murailles et de ravager tout ce que le canon pourrait atteindre, et par là, peut-être, détruire le moral des habitants et amener la garnison à se rendre. Chez l’ennemi on s’était imaginé que les canons de la ville étaient de trop faible portée pour avoir à redouter leurs projectiles. Warren comprit bientôt qu’il s’était trompé : ayant voulu se rapprocher davantage, afin d’avoir une meilleure cible des murailles grises de Louisbourg, il en reçut une volée de boulets qui lui fit nettement sentir que les canons de la forteresse avaient une portée tout au moins égale à celle de ses propres canons. En peu de temps, en effet, il avait vu plusieurs de ses vaisseaux sérieusement endommagées, tant dans leur carène que dans leur mâture. Il dut donc s’éloigner pour aller reprendre sa première ligne de bataille, d’où il entretient sur la place un feu nourri.

Ce bombardement dura quelques jours, après quoi les Anglais durent admettre qu’il leur serait impossible de battre en brèche les fortifications de la ville et de forcer ainsi la garnison à se rendre. Il fallait donc trouver d’autres moyens, et Warren se dit que le plus efficace de tous les moyens possibles, c’était de tenter un débarquement et d’agir par ruse et surprise.

C’est ce qui fut fait.

Une nuit, les troupes bostonnaises réussirent à se glisser dans une anse solitaire, appelée la Cormorandière, à cinq milles de Louisbourg, et à mettre pied à terre. Cas troupes étaient sous les ordres de William Pepperell et fortes de deux mille hommes. Un officier anglais, James Powell, accompagnait les troupes bostonnaises en qualité de guide. Deux années auparavant, ce Powell avait été emmené prisonnier à Louisbourg, puis relâché au bout de huit mois. Durant son séjour dans la place, il en avait étudié les défenses et acquis une certaine connaissance des points forts. Il savait, notamment que, du côté de la campagne, une partie des murailles demeuraient inachevées, l’argent