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LA GUERRE ET L’AMOUR

ayant manqué. Il savait encore que la pierre des murailles avait été cimentée d’un mortier fait en grande partie avec du sable de la mer, que ce mortier adhérait mal et se désagrégeait vite, offrant une solidité plus apparente que réelle. Powell avait en outre fourni une foule d’autres renseignements propres à faire croire au succès certain et absolu de l’entreprise.

Toujours sur les recommandations de Powell, le général américain dirigea ses troupes vers Louisbourg à travers bois, côteaux, ravins et marais, évitant autant que possible routes et chemins, afin d’arriver sous la place à l’insu de ses habitants. On peut juger de la surprise de ces derniers, quand, un matin, dès l’aube, ils se virent bombardés du côte de la terre comme du côté de la mer. L’ennemi avait installé de puissantes batteries sur les hauteurs avoisinantes, à l’ouest et au nord de la forteresse. D’autres troupes étant venues se joindre aux premières, Pepperell eut bientôt sous ses ordres tout près de quatre mille hommes, soldats et marins, ce qui représentait plus du double des défenseurs de la ville.

Ainsi prise entre deux feux, la forteresse se trouvait dans une position si difficile qu’elle en apparut presque désespérée, car le feu de ses canons ne parvenait pas à répondre à celui des canons anglais. Déjà on prévoyait l’heure où tout finirait par s’écrouler sous les averses ennemies de boulets et de bombes. Les combattants de Louisbourg laissaient entendre que l’unique moyen de sauver la place c’était de sortir hors des murs, de charger l’ennemi et de le déloger de ses positions trop avantageuses, puis de le rejeter à la mer. Autrement, on se voyait prisonniers en des murs qu’on ne pouvait que mal défendre, qui crouleraient un jour ou l’autre, après quoi il n’y aurait plus qu’à capituler et à rendre les armes. Perspective fort humiliante… Oui, mais les combattants, eux, n’entendaient pas subir cette humiliation, l’honneur des armes françaises réveillant dans chacun la fierté du sang et l’intrépidité du cœur.

Par malheur, les chefs — Duchambon en particulier — avaient des vues toutes différentes. N’ayant pas ou peu de confiance en ces soldats qui, une fois, s’étaient mutinés, ils pensaient que ces hommes demandaient à sortir de la ville uniquement pour trouver l’occasion de déserter… En vérité, ce fut cette méfiance qui donna aux chefs cette courte vue et qui perdit la ville.

Or, ce qui avait été prévu ou redouté par les défenseurs de la place se réalisait : sous l’incessante et effective canonnade ennemie, les murs de la forteresse croulaient un peu chaque jour. Et un peu chaque jour aussi, les habitations s’abattaient ou étaient incendiées. Souvent les combattants devaient quitter leurs postes de combat et se muer en pompiers, afin d’enrayer les incendies qui, à tout moment, se déclaraient sur un point ou sur l’autre de la ville. Peu à peu Louisbourg devenait une masse de décombres. Les femmes et les enfants vivaient dans les caves, dans lesquelles s’entassaient des débris de matériaux informes. À certains jours, c’était une véritable pluie de fer et de feu qui tombait… un enfer qui arrachait des cœurs les plus courageux les restes d’un dernier espoir. Des femmes et des vieillards, à bout de courage et de force, demandaient sans plus la reddition de la place. Ils clamaient qu’il était inhumain de les sacrifier inutilement avec leurs enfants. D’autres pleuraient, se lamentaient, couraient ici et là, imploraient qu’on hissât le drapeau blanc. Ce n’était plus tenable. Autant se livrer aux Anglais tout de suite. Le désarroi devenait complot parmi les femmes.

Les hommes aussi, dans cette tourmente, perdaient quelquefois la tête. On ne savait plus que faire, où aller, quoi défendre ou protéger. On s’égarait dans l’épaisse et âcre fumée des bâtiments incendiés… Et les puits et fontaines de la ville baissaient rapidement ; l’heure n’était pas loin où l’eau — au moins l’eau potable — manquerait tout à fait. La nuit, fort heureusement, durant l’accalmie, on pouvait faire provision d’eau aux fossés qui entouraient la place ; mais cette eau, bourbeuse et sale, n’était guère propre à l’usage domestique. Aussi ménageait-on le plus possible l’eau potable. Quant à l’eau des fossés, on en remplissait les puits et fontaines et l’on s’en servait ensuite pour combattre les incendies.

Quelques jours après le débarquement des troupes ennemies à l’anse de la Cormorandière, la famille Dumont avait dû, à son tour, chercher refuge dans la cave de la maison, dont le toit avait été enfoncé par les boulets anglais. Même dans la cave, la vie de ses occupants n’était pas à l’abri des dangers du bombardement, et chacun le sentait. Encore quelques jours de cette pluie infernale de boulets et de bombes, et la maison entière pourrait n’être plus qu’un triste amas de pierres et de poutres. Bien chanceux si les habitants ne se trouvaient pas un jour ensevelis vivants sous les décombres. Il importait donc de chercher un refuge plus sûr. Mais où ? C’était la question que l’on se posait vainement. Les Anglais s’atta-