Page:Féron - Le dernier geste, 1944.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.



PREMIÈRE PARTIE

La Guerre et l’Amour


Dans cette crique déserte et sauvage le petit bateau se balançait doucement sur la lame basse et molle libérée, depuis deux jours, des glaces de l’hiver finissant. À sa proue il étalait, en belles et hautes lettres et comme avec une sorte de fierté, un nom d’espérance et de lumière : l’Aurore.

C’était une barque de pêcheur. Et de toutes les barques qui berçaient leur mâture dans la rade de Louisbourg, l’Aurore était reconnue comme la plus belle, la plus élancée, la plus élégante, la plus rapide. On la connaissait bien sur les bancs poissonneux de Terre-Neuve ; on la connaissait jusqu’aux îles. Dans les bons vents, ses deux voiles hautes, ainsi que deux grandes ailes déployées, se gonflaient triomphalement, et elle secouait sa carène avec l’air d’une biche prête à bondir : puis, penchant avec grâce son flanc souple sur la vague, elle prenait un vif élan vers la haute mer avec l’aisance d’un grand oiseau aquatique.

Son patron, Constant Dumont, assisté de trois aides, ne rentrait jamais au port sans une belle cargaison de poisson. L’équipage se composait d’Aurèle, le fils du patron, d’Olivier Rambaud, fils d’un armateur de la Rochelle et d’un jeune sauvage micmac.

Mais la pêche n’était pas l’unique métier du maître de l’Aurore ; le commerce ou, si l’on veut, la traite des pelleteries, durant la morte saison, occupait ses loisirs et grossissait ses gains. Connu pour honnête homme et pour bon payeur parmi les tribus sauvages, il entretenait avec elles un traffic dont le rendement n’était pas loin d’égaler celui de la pêche. La probité, la droiture, ses connaissances maritimes et, mieux encore peut-être, l’aisance matérielle qu’il s’était acquise, le plaçaient au rang des notables de Louisbourg.

Constant Dumont avait appris son métier à Brest. Dès l’âge de douze ans il s’était embarqué avec son père, rugueux