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Page:Féval - La Vampire.djvu/128

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LA VAMPIRE

Je ne le fatiguai pas, je le moulus si bel et si bien qu’il demanda grâce et tomba tout haletant sur ma banquette.

« — Parbleu ! dit-il en riant et en essuyant ses cheveux plats qui ruisselaient de sueur sur son grand front, Mme de Beauharnais jetterait de jolis cris, si elle me voyait en un pareil état ! »

J’étais muet et presque aussi las que lui, moi dont le bras est de fer et le jarret d’acier.

« — Çà ! mon maître, dit-il en se levant tout à coup, j’ai perdu plus de vingt minutes. Que je vous paye, et à demain ! »

Il plongea précipitamment dans son gousset sa main longue et fine, mais il la retira vide : il avait oublié ou perdu sa bourse.

« — Me voilà bien ! fit-il en rougissant légèrement, je me suis donné ici une fausse qualité, et je vais être obligé de tous demander crédit !

« — Général, répliquai-je, vous n’avez trompé personne.

« — C’est vrai… Vous me connaissiez ?

« — Non, sur mon honneur !…

« — Alors, comment savez-vous ?…

« — Je ne sais rien. »

Il fronça le sourcil.

« — Sire… » continuai-je.

— Sire ! s’écria le secrétaire général, qui écoutait avec une avide attention. Parole jolie ! vous l’appelâtes sire, mon cher monsieur Gâteloup !

— Monsieur l’employé, s’interrompit Jean-Pierre, je vous dis les choses comme elles furent. Je vous ai promis de raconter, non point d’expliquer. Le citoyen Bonaparte fit comme vous : il répéta ce mot : sire ! Et il recula de plusieurs pas, disant :

« — L’ami, je suis un républicain ! »

Moi, je poursuivis, parlant comme les pythonisses antiques, avec un esprit qui n’était pas à moi :

« — Sire, je suis un républicain, moi aussi, je l’étais avant vous, je le serai après vous. Ne craignez pas que je réclame jamais des intérêts trop lourds pour le crédit que je fais aujourd’hui à Votre Majesté ! »

— Vous dites cela ? murmura Berthellemot, avant le 13 vendémiaire ! C’est curieux, petite parole, c’est extrêmement curieux !

Pas longtemps auparavant… c’était le 4 ou le 5.

— Et que répondit l’empereur ?… je veux dire le premier consul… je veux dire le citoyen Bonaparte.

— Le citoyen Bonaparte me regarda fixement. La pâleur de sa joue creuse et amaigrie était devenue plus mate.

« — Ami Gâteloup, me dit-il, d’ordinaire je n’aime ni les