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LA VAMPIRE

illuminés ni les fous… mais vous avez l’air d’une bonne âme, et vous m’avez courbaturé comme il faut… À demain. »

Et il partit.

— Et il revint ? demanda Borthellemot.

— Non… jamais.

— Comment ! jamais ?

— Il n’eut pas le temps… Sa courbature n’était pas encore guérie quand le 13 vendémiaire arriva. À l’affaire devant Saint-Roch, il commandait l’artillerie. Il y eut là bien du sang répandu : du sang français. Le jeune général de brigade était nommé général de division par le Directoire : il n’avait plus besoin de la protection de M. de Pontécoulant… Je le suivais de loin ; j’allais où l’on parlait de lui, et bientôt on parla de lui partout… Comment dire cela ? Il m’inspirait une épouvante où il y avait de la haine et de l’amour…

L’année suivante, il épousa cette Mme de Beauharnais « qui aurait poussé de jolis cris, » si elle l’avait vu en l’état où je l’avais mis à ma salle d’armes ; — puis il partit, général en chef de l’armée d’Italie.

— Et vous ne l’aviez pas revu ? interrogea le secrétaire général, qui oubliait de jouer sa comédie, tant la curiosité le tenait.

— Je ne l’avais pas revu, répondit Jean-Pierre.

— Dois-je conclure qu’il est encore votre débiteur ?

— Non pas ! Il m’a payé.

— Généreusement ?

— Honnêtement.

— Que vous a-t-il donné ?

— Le prix de mon cachet était d’un écu de six livres. Il m’a donné un écu de six livres.

Le secrétaire général enfla ses joues et souffla comme Eole en faisant craquer ses doigts.

— Pas possible ! parole mignonne, pas possible !

— Ce qui n’était pas possible, prononça lentement Jean-Pierre Sévérin, dont la belle tête se redressa comme malgré lui, c’était de me donner davantage.

— Parce que ? fit Berthellemot naïvement.

— Je vous l’ai dit, monsieur l’employé supérieur, répondit Jean-Pierre : j’étais républicain avant le général Bonaparte ; je suis républicain, maintenant que le premier consul ne l’est plus guère ; je resterai républicain quand l’empereur ne le sera plus du tout.