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LA VAMPIRE

tume d’un mendiant fournit sous leurs pinceaux des accords merveilleux.

La lampe entourée d’un globe en verre de Bohême non pas dépoli, mais troublé et imitant la demi-transparence de l’opale, éclairait à peine cette vaste étendue, effleurant chaque objet d’une lueur discrète et presque mystérieuse.

On ne pouvait juger ni les peintures du plafond ni celles des panneaux, coupés en cartouches octogones, selon les lignes régulières mais inégales qui caractérisaient l’époque de Louis XIV. C’est à peine si les dorures brunies renvoyaient ça et là quelques sourdes étincelles.

Au-devant de deux grandes fenêtres les draperies de lampas dessinaient leurs plis larges et nombreux sous lesquels tranchaient de moelleux rideaux en mousseline des Indes.

L’aspect général de cette pièce était austère et large, mais surtout triste, comme il arrive presque toujours pour les œuvres du moyen âge que le dix-septième siècle essaya de retoucher.

C’était aux carreaux de cette chambre et sous la mousseline des Indes qu’Angèle avait vu d’abord le visage de René, aux premiers rayons de la lune, puis les deux ombres dont la fenêtre avait trahi l’amoureuse bataille.

Maintenant il n’y avait plus personne.

Mais les gaies lueurs qui passaient par la porte entr’ouverte de la pièce voisine, celle qui n’avait qu’une croisée sur la rue et qui s’était éclairée la dernière, indiquaient la route à prendre pour retrouver ensemble René de Kervoz et la reine des blondes, comme l’appelait Germain Patou, la radieuse pénitente de l’abbé Martel, l’inconnue de l’église Saint-Louis-en-l’Ile.

La jalousie de celles qui aiment profondément ne se trompe guère. Il est en elles un instinct subtil et sûr qui leur désigne la rivale préférée.

Angèle avait reconnu le profil de sa rivale sur la mousseline des rideaux, et nous l’avons dit comme cela était, Angèle, dans cette silhouette mobile, avait deviné jusqu’à l’or léger qui frisait en délicieuses boucles sur le front de l’étrangère.

Franchissons cependant cette porte entr’ouverte qui laissait passer de joyeuses lueurs.

C’était une pièce beaucoup plus petite, et le seuil qui séparait les deux chambres pouvait compter pour un espace de six cents lieues. Il divisait l’Occident et l’Orient.

De l’autre côté de ce seuil, en effet, c’était l’Orient, les tapis épais comme une pelouse, les coussins accumulés, la lumière parfumée. Vous eussiez cru entrer dans un de ces boudoirs féeriques où les riches filles de la Hongrie méridionale