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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/146

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partenant à ces pays foncièrement producteurs de machines à combattre : la Suisse et l’Écosse. D’un autre côté, nos jeunes gentilshommes s’en allaient au delà du Rhin chercher des grades ou des aubaines.

En plein Paris il y avait des boutiques de racoleurs, non-seulement pour les régiments du roi, mais encore, mais surtout pourrait-on dire, pour les armées de l’empereur Ferdinand II et du roi Christian IV qui soutenait, en Allemagne, la cause de la foi protestante.

Nous avons mentionné ce fait à cause d’un personnage qui a passé dans ce récit sans éveiller assurément l’attention du lecteur, ce don Ramon, recruteur pour la guerre d’Allemagne, qui s’était, le premier, jeté dans un bateau pour porter secours à maître Pol, au moment où celui-ci avait « sauté le pas, » du haut du parapet du Pont-Neuf.

Dans la foule, un plaisant avait dit : « Je gage que don Ramon va repêcher un soldat ! »

Ceci faisait allusion à la profession même de ce brave officier qui était natif de Pontoise, mais qui avait pris un fort beau nom Castillan, don Ramon Tordesillas, à la suite de quelques démêlés avec la justice de sa ville natale.

Don Ramon avait vu du pays. Il avait porté la hallebarde dans divers corps de miquelets au service de la France, de la Savoie, de l’Espagne, de la Suède et de l’Empereur, après quoi, las de la vie des camps, il avait pris ses quartiers de retraite à Paris, tout près du Pont-Neuf, c’est-à-dire au véritable centre de l’univers. Là, il menait une existence tranquille, racolant tout doucement, pour la France et pour l’étranger, pour l’étranger plutôt que pour la France, parce que la prime était beaucoup plus forte.

Son arc avait deux autres cordes. Le jour, il était pêcheur de poissons, la nuit il était pêcheur de noyés.

Il vendait les noyés qu’il pêchait aux écoles de la Faculté de médecine, ouvertes rue du Fouarre, au quartier Saint-Jacques.

Le croiriez-vous ? malgré tant de talents, ce pauvre don Ramon ne faisait pas fortune.

Aussi ne laissait-il rien perdre. Une heure environ après la scène que nous venons de reproduire entre César de Vendôme et la nouvelle comtesse Éliane, don Ramon Tordesillas (il s’appelait de son nom Martin Mouton) remontait le cours de la Seine dans son bateau qu’il menait à la godille. Il rapportait deux chrétiens, dont l’un était bien mort et l’autre ne valait guère mieux. Il rapportait en outre le pain de saint Antoine, et un bon bout de cierge, qu’il avait éteint par économie.

Don Ramon avait été loin pour trouver tout cela. Il n’avait rejoint le cierge miraculeux que vers le bas de Passy, et quand il revint en vue du Louvre, la sueur découlait de son front.