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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/6

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diable, dont la physionomie tourmentée prit une expression bonne et caressante ; ma belle petite Éliane ! »

De son côté, le dormeur de l’alcôve poursuivait :

« Que l’enfer confonde les donzelles ! À quoi bon les femmes ici-bas ? N’y a-t-il pas assez des dés, des cartes et de la table ! Pol ! traître ! verse à boire ! »

Un petit caillou, un grain de sable plutôt, lancé d’en bas, toucha un carreau de la croisée.

Le beau garçon tressaillit comme si son sommeil profond eût perçu ce bruit si léger. La douce voix reprit :

Jeanne aimait un gentilhomme,
Annette un homme,
Marthe, ma foi,
Landeriguette
Landerigoy,
Aimait un fripon de page,
Sans équipage
Ni franc aloi,
Landerigoy,
Landeriguette !

Un second grain de sable frappa la vitre. Le beau diable se frotta les yeux à tour de bras en se mettant sur son séant. Pour le coup, les deux levrets gambadèrent.

Dans l’alcôve, la voix enrouée appela plaintivement.

« Guezevern ! Pol ! Cadet de malheur ! à boire ! »

Mais Guezevern, le beau garçon, ne daigna pas donner la moindre attention à ce qui se disait dans l’alcôve.

Il se leva un peu chancelant, un peu étourdi, et commença par consacrer toutes ses facultés à la solution de ce problème, plus ardu qu’on ne pense : trouver son équilibre.

Il le trouva et passa deux belles mains assez blanches qu’il avait, dans la forêt de ses cheveux blonds révoltés.

« Mort de moi ! pensa-t-il tout haut, il fait déjà grand soleil ! Qu’est-ce qu’on a donc bu, hier, à ce réveillon maudit ? Je dois être équipé comme un brigand et j’ai fait attendre ma petite Éliane. Je vais avoir un sermon ! »

La vitre tinta au choc d’un troisième grain de sable plus gros, et la voix mignonne dit avec une expression de colère :

« Ah ! Pol ! malheureux Pol, vous serez donc toujours le même !

— J’en ai bien peur, chérie, grommela le jeune Bas-Breton, en riant d’un air contrit, à moins que tu ne me corriges, mon beau petit ange bien aimé… mais, saint-Dieu ! il y a fort à faire ! »

Il se tourna vers un miroir de Venise qui pendait au lambris, entre les deux fenêtres, vis-à-vis des draperies fermées de l’alcôve, et son sourire s’attrista franchement quand le miroir lui montra le terrible état de sa toilette. Il se mit aussitôt à la besogne, rajustant son