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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/7

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pourpoint, relevant ses chausses, lustrant à deux mains les belles boucles de ses cheveux, et donnant même un petit coup au croc naissant de sa moustache.

Pendant cela, la petite voix mignonne achevait sa chanson :

Le seigneur acheta Jeanne,
L’homme prit Anne ;
Marthe dit : Moi,
Landeriguette,
Landerigoy,
Il me faut bel apanage,
Et le blond page
Devint un roi,
Landerigoy,
Landeriguette !

Au moment où ce refrain, plus accommodant que moral ou poétique, arrivait aux oreilles charmées de notre beau gaillard, qui s’appelait de son nom bas-breton Pol-Yves-Vénolé, cadet de Guezevern, sa toilette allait s’achevant. Il resserra ses aiguillettes d’une main plus assurée et se campa tout droit devant la glace, dans une attitude de défi, comme pour lui dire :

« Est-ce que j’ai l’air d’avoir dormi sous la table ? »

La glace, en vérité, ne lui fit pas une réponse trop sévère. Il avait belle mine, et la pâleur de sa joue lui allait bien. La chanson avait remis des éclairs dans sa prunelle.

Le dormeur de l’alcôve ronflait toujours et grondait en ronflant.

« Ventre-saint-gris ! pour mettre la main sur le frère du roi, il faudrait un autre compagnon que vous, monsieur le cardinal ! Nous vous fâcherons avec madame la reine-mère, et vous irez planter des raves à Brouage, pour le printemps qui vient. Holà ! Guezevern ! Pol ! païen ! verse jusqu’au bord ! »

Guezevern hésita un instant entre la porte qu’il venait d’ouvrir et ces lourds rideaux de lampas, derrière lesquels était son devoir. Il sourit et murmura :

« Quand M. le duc aura bien rêvé qu’il a soif, il rêvera qu’il boit, puis qu’il est ivre. Nous en avons pour une grande heure de promenade, Éliane et moi, sous les tilleuls. »

Et il sortit, prenant soin de refermer la porte.

Quelques secondes après, il descendait le petit perron latéral, donnant sur un carré long, plein d’ombre et de fleurs, qu’on appelait le clos Pardaillan, parce qu’il appartenait à dame Honorée de Guezevern-Pardaillan, maîtresse de la porte du couvent des Capucines. Ce clos séparait les communs de l’hôtel du couvent auquel il touchait par le logis de dame Honorée. Celle-ci, par grâce spéciale de Françoise de Lorraine, sa patronne et amie, portait sa croix sous l’habit, et tenait un emploi de religion quoi qu’elle ne fût point cloîtrée et n’eût jamais fait ses vœux.

Dame Honorée était la tante à la mode de Bretagne du cadet Pol de Guezevern, page de M. le duc de Vendôme.