Aller au contenu

Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Si cela vous plaît, mon cher cœur, je vous promets qu’il en sera selon vos désirs. »

Éliane porta à ses lèvres le sifflet d’or qui pendait à son col. Un valet vint à son appel.

« Que l’écuyer Mitraille se hâte de prendre son repas, ordonna-t-elle, et qu’on prépare six chevaux frais de la grande écurie. Monsieur l’intendant va partir avec une escorte de cinq hommes.

— Cinq hommes ! répéta Guezevern quand le valet fut parti. M’est avis que ce coquin de Mitraille et moi nous sommes bien capables de porter à Paris l’épargne de M. de Vendôme.

— Vous vous trompez, répliqua Éliane. Soixante-quinze mille livres en or font une lourde charge dans chaque valise. Il y aura quatre valises portant cette charge. L’écuyer Mitraille et vous, vous ne porterez rien, sinon vos armes, pour défendre le bien confié à votre chargé.

— Mort de moi ! balbutia maître Pol stupéfait, le calcul et moi nous sommes brouillés depuis longtemps, mais il me semble que quatre fois soixante-quinze mille livres font… font… »

Il s’arrêta cherchant, et Éliane acheva :

« Cent mille écus tournois.

— Cent mille écus tournois, ma femme ! Trois cent mille livres ! Ai-je vraiment amassé une si belle finance en si peu de temps !

— Un peu plus, répliqua la jeune femme, dont le sourire se fit orgueilleux à son insu, et c’est pour répondre à M. de Vendôme qui veut savoir à quoi sert un intendant honnête homme. »

Maître Pol l’enleva dans ses bras.

« Foi de dieu ! s’écria-t-il, dans son enthousiasme, avec un intendant honnête homme, j’entends un intendant tel que moi, qui suis honnête homme jusqu’au bout des ongles, M. le duc aurait risqué grandement d’avoir une dette au lieu d’une épargne ! Je n’osais pas te demander combien j’allais emporter avec moi, et si tu m’avais dit : nous avons un millier ou deux de pistoles, je jure que j’aurais été content, lui aussi. Cent mille écus ! c’est toi qui es l’intendant, mon Éliane, le bon génie, la fée ; et quand je vais arriver devant M. de Vendôme, je veux lui dire : par la mort diable, monseigneur, voici un cadeau de Mme de Guezevern, ma femme, qui bat monnaie aussi bien que le roi ! »

Si vous eussiez dit à maître Pol que son Éliane ne l’avait pas radicalement guéri de l’habitude qu’il avait autrefois de jurer, vous l’eussiez étonné de fond en comble.

Il était bien triste de quitter si tôt sa femme tant aimée, ce bon, ce beau Guezevern ; il était bien triste aussi de la mort de M. le grand prieur, qui était un homme de tête et de cœur ; mais il soupa de grand appétit, parce que l’idée de Paris venait à la traverse de ses mélancolies et mettait en sa pensée un étrange fonds d’allégresse.