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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/78

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Il n’est besoin d’expliquer ce sentiment à ceux qui ont connu Paris et qui vivent ailleurs.

J’entends qui vivent bien, qui vivent mieux qu’à Paris, — et qui pleurent Paris.

Tout en mangeant comme un ogre, maître Pol était distrait.

Éliane le regardait, pensive, et ne mangeait point.

De temps en temps elle se levait pour donner des ordres. Elle était la femme qui songe à tout et qui fait tout.

Maître Pol n’avait qu’à se laisser glisser dans la vie sur le chemin, toujours aplani par elle.

Les trois cent mille livres furent partagées entre les quatre valises, dont Guezevern eut les clefs, puis il reçut des mains de sa femme une bourse bien garnie : « pour ses menus plaisirs à Paris », lui dit-elle avec son délicieux sourire.

On entendit piaffer dans la cour les chevaux de l’escorte.

Ce coquin de Mitraille blasphémait comme un païen, chantant que le vin du Vendômois valait mieux que l’ambroisie.

Quand Éliane donna le dernier baiser à son mari, elle avait des larmes dans les yeux.

« Il faut bien te divertir, Guezevern ! » murmura-t-elle.

Le petit Renaud, la voyant pleurer, fronça le sourcil en regardant son père.

Ce pauvre maître Pol, qui n’était pourtant pas un menteur, balbutia :

« Puis-je être heureux loin de toi, mon âme ? »

Il grillait d’envie d’être à cheval, quoiqu’il n’eût, en vérité, rien de si cher au monde que ces deux êtres qu’il allait quitter.

Paris l’appelait, Paris l’enchantement !

« Écoute, fit Éliane, d’une voix sérieuse et profonde, j’ai deux frayeurs : cet homme et le jeu ! »

Maître Pol se mit à rire en la pressant contre son cœur.

« Promets-moi, continua-t-elle, que tu ne joueras pas et que tu ne te laisseras pas entraîner par cet homme !

— Folle ! dit Guezevern, chère folle ! »

Mais le petit Renaud s’écria, menaçant :

« Fais ce que dit ma mère, méchant ! »

Éliane lui imposa sévèrement silence.

Il n’en continua pas moins :

« Méchant ! ne vois-tu pas qu’elle pleure ! Promets-lui que tu ne joueras pas, et que tu n’iras pas avec l’homme qui lui fait peur ! »

Il ne se doutait guère que cet homme était son parrain.

Parmi un demi-cent de baisers, maître Pol dit :

« Je le promets ! »

Et même il ajouta :

« Je le jure ! »