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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/95

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Saint-Venant gardait son grand sérieux.

« Vivadioux ! s’écria Gondrin, tu es un hardi petit coquin, cadet Renaud, mon neveu ! M. de Vendôme a dû te dire que tu perdais le respect.

M. de Vendôme, repartit Saint-Venant, est devenu pâle comme un mort, et a grommelé : « Ventre-saint-gris ! ventre-saint-gris ! je me doutais bien de quelque chose comme cela ! Ah ! le méchant homme que ce cardinal ! Et voilà dix ans que le jeu dure ! J’irai chez un physicien, moi aussi ; chez un magicien, chez un nécromancien ; je lui donnerai la rogne, la gale, la goutte et la gravelle. Par la messe, je le ferai ! Et ce sera de bonne guerre ! »

« J’ai fort approuvé son dessein, mais je lui ai fait observer que l’autre avait de l’avance. Nous avons délibéré ensemble sur les voies et moyens, et il a été décidé que monseigneur irait se cacher au château de Dampierre, où Mme la duchesse de Chevreuse est en exil. Le magicien, ne sachant plus où il est, ne pourra diriger de son côté les effets de sa médecine ; moi, pendant ce temps, j’essayerai de faire tomber ce monstre dans un piège et de le brûler à petit feu. Quand tout sera dit, j’enverrai un exprès à M. de Vendôme, qui arrivera frais et dispos pour tailler des croupières à M. le cardinal. »

Gondrin s’assit sur la table, les bras croisés et les jambes pendantes.

« Et voilà les ennemis de M. de Richelieu ! dit-il. C’est bien la peine d’être un grand homme et de s’escrimer avec une arme qu’on appelle l’échafaud, quand on a devant soi de pareils grotesques !

— Il y en a tant, de ces grotesques, repartit Saint-Venant, que si M. le cardinal laissait faire, ils mangeraient l’État par petits morceaux. Mais à nos moutons, s’il vous plaît ! M. de Vendôme est parti pour le château de Dampierre, maître Pol de Guezevern, son intendant est arrivé, avec trois cent mille livres en or.

— Mordiou ! fit le baron de Gondrin, un aimable denier !

— En résumé, poursuivit Saint-Venant, j’ai empêché maître Pol d’aller au château de Pardaillan, et j’ai fait en sorte qu’il ne trouvât point M. de Vendôme à son arrivée à Paris. C’était là mon rôle. À votre tour d’accomplir votre besogne.

— Cadet Renaud, quelle est ma besogne ? Et songez que je puis être un fou, un malheureux, tout ce que vous voudrez, mais que je suis un gentilhomme ! »

Ceci fut dit d’un ton sérieux et presque hautain qui parut produire une impression médiocre sur l’écuyer de Mme la duchesse de Vendôme.

« Me prenez-vous pour un vilain, monsieur le baron ? demanda-t-il avec un sourire douceâtre et froid. Les gentilshommes de votre sorte sont fainéants et nous vous avons choisi une besogne aisée.

— Rien contre l’honneur, je suppose ? » fit Gondrin, dont les sourcils se froncèrent.