Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/37

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et, dès le matin, la ville avait sa physionomie des jours de réjouissance publique. Les pauvres de Venise connaissaient Pia Barberini, l’ange de la charité : on disait qu’André Policeni, l’élégant jeune homme, le roi des joies patriciennes, le dernier héros de ces romances avec accompagnement de guitare qui glissaient jadis sous le Rialto, derrière les draperies de tant de gondoles, quand la lune blanchissait les palais, mirés dans le grand canal, on disait qu’André Policeni, jetant loin de lui les souvenirs de sa jeunesse folle, était devenu un saint à genoux. Saint en s’approchant d’une si chrétienne et si noble pureté. J’étais à Venise, messeigneurs, non point en mission politique, cette fois, mais simplement pour embrasser mon bien-aimé frère qui, déjà enrôlé dans la milice de Dieu, était à Rome. Venise est à moitié chemin entre notre Stuttgart et la ville éternelle…

Comme si chacun des deux frères eût cédé à une irrésistible impulsion de tendresse, leurs mains se cherchèrent et se réunirent. Cela fit bien dans le cercle. Il y a des regards attendris pour recueillir, partout où il se montre, ce bel amour qui fleurit dans les familles.

— Nous avions fait chacun la moitié de la route, poursuivit M. le baron d’Altenheimer, d’une voix légèrement émue. Au mariage de Policeni et de la Barberini où nous assistâmes, il y avait des représentants de toutes les aristocraties de l’univers ; mais on y remarqua surtout deux étrangers qui passionnèrent la curiosité de toute la ville : Jacques Stuart, comte de Glascow, fils du dernier prétendant Charles-Édouard et, par conséquent, héritier légitime de la couronne d’Angleterre, et son jeune fils, Charles, duc de Richmond.

« Il est, à la vérité, dans l’opinion commune, que le dernier Stuart mourut à Rome sans enfant ; mais à Rome même, mon frère Bénédict peut vous l’affirmer,