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LES CONTES DE NOS PÈRES.

Il y avait cinq ans que Gérard Lesnemellec, seigneur de Lern et du Val, était parti pour la Palestine, en compagnie de ses trois voisins et amis. Depuis bien longtemps on n’avait point entendu parler d’eux en Bretagne. Plusieurs gentilshommes du pays qui étaient de retour dans leurs foyers affirmaient que, suivant toutes probabilités, les quatre barons avaient laissé leurs vies auprès du tombeau de Notre-Seigneur. Ces bruits mettaient beaucoup de joie à l’âme de maître Pointel, surnommé Lucifer. Il y croyait et agissait en conséquence.

Ainsi, fort des actes qu’il avait fait signer à ses débiteurs, il se mit provisoirement en possession de leurs gages, c’est-à-dire de leurs domaines. Il trancha du noble seigneur, rassembla autour de lui une garde d’hommes d’armes qui eût suffi à un comte, et fit peser sur toute la contrée sa tyrannique domination.

Il n’y a rien au monde d’irritant comme le despotisme d’un usurpateur. Les bonnes gens du pays entre Pontréhan et Lohéac essayèrent maintes fois de secouer le joug, mais ils n’étaient pas les plus forts. Maître Pointel opposait à leurs phalanges mal armées les jacques de fer de ses cavaliers. Il demeurait toujours vainqueur.

Entre tous ces châteaux, il avait choisi celui de Lern pour y faire sa résidence. Dès longtemps maître Pointel avait jeté son regard de convoitise sur ce noble manoir, et nous avons vu que, pour se l’assurer mieux, il avait imposé à Gérard Lesnemellec une clause particulière. Maintenant qu’il était arrivé à ses fins, maître Lucifer s’en donnait à cœur joie. Il avait transporté à Lern toutes les magnificences de la maison qu’il habitait autrefois sur les bords de la rivière d’Ille. Dans la grande salle, ornée encore des portraits des Lesnemellec,