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LES CONTES DE NOS PÈRES.

— Ma dette ! répéta-t-il ; je te l’ai payée hier soir.

Jouvente lâcha l’épaule de Robert et fouilla son escarcelle où il prit l’écu d’or qu’il avait reçu la veille ; puis, faisant un pas en arrière, il lança l’écu qui frappa Coëtquen en plein visage. Celui-ci tira son poignard ; Jouvente était en garde déjà.

Ce fut un étrange combat ; le bac, qui n’était plus dirigé, présentait son travers à la lame et menaçait naufrage à chaque coup de vent ; le roulis était si violent, que les deux adversaires avaient peine à se soutenir ; ils chancelaient, ils tombaient, mais ils frappaient. L’obscurité restait profonde, la foudre seule éclairait la lutte qui se poursuivait silencieuse, acharnée, au milieu du redoutable choc des éléments soulevés.

Nielle, accablée d’épouvante et peut-être de remords, s’était évanouie et gisait au fond du bac.

— Renonce à elle ! cria Jouvente qui venait de terrasser son adversaire.

Robert sourit sous le poignard levé.

— Tu peux me tuer ; mais elle m’aime.

Cette idée n’était point venue encore à Jouvente. Il croyait combattre le ravisseur de Nielle, et non pas son amant. Il fut frappé au cœur.

— Elle t’aime ! répéta-t-il machinalement ; mais alors… elle ne m’aime pas, moi !

Robert sourit plus fort.

À ce moment le bac toucha contre un écueil. Les débris de sa coque se dispersèrent. Il ne resta sur l’eau que le mât pourvu de sa longue vergue. Robert songea d’abord à lui-même et saisit le mât. Jouvente ne pensa qu’à Nielle. Il la soutint sur l’eau et parvint à s’accrocher à la vergue qui fléchit sous son poids.