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LES CONTES DE NOS PÈRES.

plaisir à caresser la partie d’une épée… C’est le sang de Rieux qui parle, alors ; en cet instant, j’irais à la mort comme on court à une fête… Mais d’autres fois, quand je me vois, pauvre enfant que je suis, au milieu de tous ces hommes dévoués, mais grossiers et toujours prêts à lâcher la bride à leurs passions brutales… faut-il le dire ?… j’ai peur.

Elle cacha sa tête dans le sein de son amie.

— Oh ! reprit-elle après un moment de silence, ce n’est pas la mort que je crains. Mon bras est faible, mais mon cœur est fort… Ce qui me ronge, c’est le doute : parfois, je crois surprendre un sourire de pitié sur les lèvres de mes hommes ; parfois, ils me répondent avec cet air de condescendance que prennent les bons serviteurs avec l’enfant gâté d’un maître qu’ils aiment… Admirent-ils ma précoce énergie ?… Raillent-ils mes inutiles exploits ?… Suis-je grande ou suis-je ridicule ?

En prononçant ce dernier mot, elle lança à la dérobée, vers Sainte, un regard plein d’anxiété.

Celle-ci fut quelque temps avant de prendre la parole. Quand elle rompit enfin le silence, ce fut d’un ton grave, presque sévère.

— Et c’est là tout ce que vous craignez ? dit-elle.

— N’est-ce pas assez ?

— Un jour, le curé de Saint-Yon, que vous respectiez autrefois. Marie…

— Et que je respecte encore…

— Je le souhaite… Un jour donc, le saint prêtre me dit ces paroles, qui se sont gravées dans ma mémoire : « En ces temps de luttes impies, ma fille, le rôle d’une femme doit être un rôle de paix, de conciliation et de pitié… » Ne vous a-t-il jamais rien dit de semblable, Marie ?