Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/11

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Ma famille, je l’espère, n’a pas honte de moi telle que je suis. Cependant je veux me garder de soumettre à aucune épreuve imprudente ces intimes relations qui font ma joie, et, tout en cédant aux prières de la majorité de mes amis, je prétends obéir au silence de ceux qui m’aiment aussi et qui ne me pressent pas de mettre au jour les aventures de ma vie.

Elles ont été, mes aventures, assez bizarres, assez nombreuses, pour que je puisse dire qu’aucune femme ne pourrait s’appliquer mieux que moi le nom de cet enfant perdu de la fortune, Gil Blas de Santillane. J’ai souvent et beaucoup souffert ; plus d’une fois j’ai été cruellement vaincue ; je me suis trouvée mêlée à tant de comédies et à tant de drames qu’il me faudra choisir dans le nombre pour ne point dépasser l’étendue d’un livre frivole, — par la forme du moins ; — mais, en définitive, je vois dans mon passé plus de sourires que de larmes. Ma vie a été amusante à vivre ; si bien que je m’amuse encore à la raconter. Je souhaite que personne ne s’ennuie à la lire.

Au début de son impérissable chef-d’œuvre, Lesage met en garde le lecteur contre la manie dangereuse des allusions. Je n’ai pas cette ressource, mais je n’ai pas non plus ce besoin. Les mœurs ont changé ; je ne suis qu’une femme ; la plume d’une femme doit fuir le scandale, même anonyme.