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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/21

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MADAME GIL BLAS

cheveux plantés jusque sur le nez, faisant mouliner son bâton quand il m’apercevait et criant :

— Passe au large, vermine !

Une fois qu’il était ivre, il me poursuivit à coups de pierres jusque dans la grange de M. Guéruel. Gustave vint à mon secours et lui fit une blessure à la main avec son couteau de bourrelier. Au lieu de le punir, l’homme de loi lui donna une pièce blanche en disant :

— Petiot, ne parle point de cela !

Ce fut vers ma troisième année que le bonhomme Lodin tomba perclus. La Noué devint la maîtresse. Elle mit Gustave en apprentissage. Il cessa d’habiter la loge.

Dans notre petit bosquet d’ormes, Gustave et moi, nous n’avions pas de temps à perdre. Le père Guéruel ne donnait pas de longues vacances. Gustave m’embrassait, me contemplait, me caressait comme si j’eusse été son enfant ; il lissait mes cheveux ; il tirait de sa poche quelque rustique friandise qu’il s’était procurée à mon intention. Nous ne parlions guère, parce que je ne voulais pas me plaindre des traitemens de sa sœur aînée. Il me disait parfois :

— Te voilà bien maigre et bien pâle, Suzanne… Patience ! quand nous serons grands, je t’épouserai !

J’aurais beau faire, je ne saurais pas dire comment j’aimais Gustave. Il était pour moi