Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/3

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LA SYLPHIDE. 259 jours après avec la reponse au château d'Avangour. Dans un temps où les c..mmunications étaient encore d'une difficulté extrême, on doit penser qu'un tel coureur était chose hors de prix. Rollan était le frère de lait de Julien; une certaine ressemblance physique, qui existait entre eux, et la lendresse que témoignait autrefois au jeune paysan feu M. d'Avaugour, père de Julien, avaient fait penser dans le temps que Kallan tenait par båtardise à la noble famille. Nous ne saurions donner à ce sujet ai cun renseignement positif. Quoi qu'il en fül, Julien d'Avangour traitait en loutes occasions son frère de lait avec une condescendance voisine de l'amitié: quelques-uns même disaient qu'il existait entre eux des relations plus intimes que les mœurs du temps ne le comportalent de seigneur à vassal. Julien d'Avaugour résidait habituellement à la cour de Paris; Rollan n'était pas plus à son service, en apparence, qu'à celui de tous les gentilshommes; néan- moins il portait ses couleurs par le fait, le chevalier n'avait point de créature plus dévouée. Trois ans avant l'époque où commence notre récit, Rollan disparut tout à coup; il y avait toujours eu dans sa vie quelque chose d'anormal et de mystérieux; ceux qui ue le crurent point mort dirent que, à coup sûr, il était engagé dans quelque entreprise difficile et bardie. Il resta deux ans absent. Ce fut seulement lorsque Julien d'Avaugour revint en Bretagne, au commencement de 1647, qu'on put apercevoir de temps à autre la figure de Rollan dans le pays. Ses allures avaient complétement change; il ne se mettait plus à la disposition du premier venu, et ses courses sem- blaient avoir un but unique et de haute importance. Nul ne disait jamais l'avoir rencontré le jour sur les grands chemins; mais, la nuit, des paysans attardés le rencontraient parfois, courant avec sa vitesse ordinaire. Dans ces occasions. on reconnaissait bien plutôt son costume particulier et la rapidité de sa marche que sa figure; Rollan ne s'arrêtait jamais, on ignorait sa demeure, et les ames superstitieuses, dont le nombre est toujours fort grand en Bretagne, n'étaient point éloi- gnées de croire que Rollan était le Juif errant. Nonobstant cette obscurité qui enveloppait sa vie, le nom de Rollan n'était prononcé dans les campagnes qu'avec une sorte de respect. Le plus grand nombre ne connaissait de lui que son nom et cette forme insaisissable qui glissait dans l'ombre sur la poussière des chemins; mais tous avaient un signe de croix pour lui souhaiter bon voyage il était entre Rollan et la Bretagne un lien que le Breton sentait, bien qu'il ne pût le dé- finir complétement. Malgré cette existence nommade, il y avait un lieu où Rollan revenait toujours. Dans le bourg de Hédé, à six lieues de Rennes, demeurait une jeune fille, nommée Aune Marker; elle vivait seule avec sa mère à l'époque où Hollan reparut pour la première fois en Bretagne, les voisins de la veuve Marker entendirent avec étonnement un enfant vagir dans sa cabane; il y eut à ce sujet bien des suppositions, bien des méchants commérages, mais la vertu d'anne était si connue qu'on finit par accepter cet événement dans le village; la jeune fille ne perdit même point son pré- tendu, Corentin Bras, ce jeune géant que nous avons vu monter la colline en compagnie de Rol- lan Pied-de-Fer. Toutes les semaines, ce dernier, que ce fut ou non son chemin, passait par Hédé; il restait enfermé dans la maison de la dame Marker pendant quelques heures, puis il repartait, après avoir baise l'enfant. Un jour, il arriva le front påle et les habits en désordre; c'était au milieu de la nuit; à la vue de l'enfant couché dans son berceau, ses yeux se remplirent de larmes. La veuve et sa fille le regardaient avec étonnement; Rollan ne les voyait pas. 1 - Arthur, mon pauvre enfant! murmurait-it; tu n'as plus de père. Puis, saisissant tout à comp le berceau, il le soutint dans ses bras et leva son regard au ciel. - Je t'en servirai, moi! s'écria-t-il avec énergie. Anne était une belle et douce fille; Rollan n'avait point d'abord remarqué son visage; mais Anne se prit pour l'enfant d'une affection de mère, et le courrier l'aima. Ce fut une singulière passion que la sienne. Rollan restait parfois des heures entières à contempler la jeune fille; son ceil était morne, sa bouche silencieuse on eût dit qu'il combattait désespérément un autre amour ou du moins son tyrannique souvenir. Sa tendresse première fut donc le résultat d'une sorte d'ef- fort; une fois venue, elle grandit tout à coup et dépassa les prévisions de Rollan: il aima de toute la puissance de son àme; il aina au point d'oublier parfois sa tâche mystérieuse, et l'oeuvre à la- quelle il avait consacré sa vie. Anne, de son côté, ne restait point indifférente; son mariage avec Corentin, décidé dès longtemps, lui répugnait désormais; son cœur clait à Rollan; mais elle hésitait encore a congédier son ancien fiancé.Corenlin, amoureux, jaloux, et se croyant des droits, avait voué au courrier d'Avaugour une implacable haine. Nos deux promeneurs nocturnes atteignirent le haut de la colline. A mesure que leur entretien se prolongeait, leurs gestes devenaient plus vifs, leurs paroles plus hostiles. Rollan avait jeté d'abord un triste regard sur le saut de Vertus; le pont-levis, collé à la muraille, semblait lui rappeler un Source gallica bnife/ Biblethèque nationale de France