Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/32

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1 I 326 LA SYLPHIDE. Rollan Pied-de-Fer ne doit point quitter ainsi, la larme à l'oeil et le front bas, les élats de Bretagne murmura Jean de Rieur à son oreille. - Le courrier se redressa soudain; il lança au sire de Châteauneuf, qui s'abaissait dans sa caste, pour le relever, lui, Rollan, un regard d'infinie reconnaissance. Puis son ceil rayonna de fierté. Messieurs, reprit-il, je reçois vos excuses, et vous tiens compte de votre condescendance. J'ai remplacé, autant qu'il était en moi, celui dont je portais le nom; maintenant, messire Arthur le tient par légitime héritage; il est d'age à le soutenir; ma tâche est terminée, et l'heure du repos venue... Dieu vous conseille, Messieurs ! Il serra Arthur dans ses bras, lui enjoignit, d'un geste impérieux, de ne point le suivre, et tra- versa la salle d'un pas ferme; Jean de Rieux l'accompagna jusqu'an seuil. cœur. Mon cousin, dit-il tristement, noblesse oblige; sans cela, je ferais comme vous de grand Quand le sire de Chateauneuf regagna son siège, après avoir embrassé le courrier, une émotion inaccoutumée adoucissait l'expression de son énergique visage. - C'est un vaillant cocur, murmura-t-il. Fasse le ciel que le pays n'ait point à regretter sou absence! 1 Cette prévision ne devait s'accomplir que trop tôt. M. de Pontchartrain n'avait point abandonné sa candidature; dès la session suivante, il vit couronner son héroïque persévérance: il y eut en Bretagne un intendant royal de l'impôt. Dès lors, les principales franchises de la province n'exis- tèrent plus que de nom. On ne revit point Rollan Pied-de-Fer. 000000-00- Lors de la mort de Reine, dame douairière d'Avaugour, qui passa de vie à trépas, en 1669, un homme se glissa inaperçu dans le cortège funèbre ; il portait, à peu de chose près, le costume de courrier, décrit plusieurs fois dans ces pages: c'était un vieillard. Il se tint à l'écart tandis que se récitaient les prières des morts, son cell resta sec, mais son visage exprimait une austère et pro- fonde douleur. Quand le dernier verset du chant mortuaire eut retenli sous la voûte du caveau de famille, les assistants s'éloignèrent, l'inconnu resta seul avec un jeune homme qui pleurait : c'était Arthur d'Avaugour. Ils demeurèrent longtemps ainsi, priant tous deux. Arthur ne voyait point son compagnon, qui le suivit doucement lorsqu'il regagna la porte de la chapelle. Le jeune seigneur monta à cheval et s'éloigna; l'étranger l'accompagna du regard jusqu'au détour du chemin : on eût pu voir une larme trembler, suspendue aux cils blanchis de sa paupière. - Dieu le bénisse! murmura-t-il avec une inexprimable tendresse. Il fit un signe de croix, et quitta les envirous de Goëllo; il marcha longtemps et d'un pas ra- pide. Bien qu'il fût chétif et cassé d'apparence, la lassitude semblait ne point avoir de prise sur lui. Dans le village éloigné de la basse Bretagne où il se rendait ainsi, on l'appelait Yvon le cour- rier: malgré son grand age, il gagnait sa vie à ce métier qui fatigue les jeunes hommes. Yvon n'était venu dans cette retraite que sur la fin de ses jours; il y était béni et respecté. Quand arriva l'heure de sa mort, il révéla au curé de sa paroisse qu'Yvon n'était point son nom véritable; le bon prêtre dut être étrangement surpris de la confession que lui fit le courrier; à daler de cet instant, il sembla l'entourer d'une sorte de vénération. Sur la tombe ou inscrivit un nom in- connu. Les villageois s'étonnèrent; à leurs questions, le prêtre répondit : - C'était un homme fort et juste: il souffrit pour vaincre, remporta la victoire, et n'eut point d'orgueil. Au ciel l'attend sans doute la récompense qu'il ne voulut pas recevoir dès cette vie. Priez pour lui, gens de Bretagne, car c'était un vrai Breton. Ce fut là l'oraison funèbre de Rollan Pied-de-Fer. PAUL FRVAL.. Source gallca.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France