Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/31

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LA SYLPHIDE. 325 cruelle souffrance; pâle et prêt à défaillir, il parcourait d'un ceil suppliant l'assemblée, pour re- lever ensuite son regard humide sur celui que, lant d'années, il avait aimé et respecté comme son père. -- J'avais prévu tout cela I murmura Jean de Rieux, dont le maintien annonçait une colère terrible, prète à éclater. Messeigneurs, dit Rollan, sur mon salut éternel, j'ai parlé suivant la vérité. L'assemblée l'avait regardé trop longtemps comme son chef pour qu'il n'exerçat pas encore sur elle une sorte d'instinctif et mystérieux pouvoir; un silence profond suivit ses paroles. 1 Honte sur notre temps! s'écria Gauthier de Penneloz. Un gentilhomme sera donc forcé d'opposer son serment an parjure d'un assassin de bas lieu! - Messieurs, dit un autre membre, il est temps que cesse ce scandale. - Il est temps en effet interrompit Jean de Rieux d'une voix tonnante. Messieurs, le rouge me vient au front, quand je vois que la noblesse qui, en soi, est une grande et tu'élaire institution, sert ici de rempart au erime, de piedestal au mensonge! Un homme s'est trouvé qui, rencontrant un jour le cadavre de son maître assassiné, a dépouillé sa propre vie pour en revêtir le cadavre. Cet homme était jeune alors, heureux peut-être. Il a fait deux parts de l'existence du mort: d'un côté, il a mis le glorieux avenir el le bonheur présent; de l'autre, le pénible devoir, le travail obscur, ardu, sans récompense; et il a pris la seconde part, réservant l'autre, intacte, à l'hé- ritier légitime. Cet homme a conbattu douze années, soutenant d'un bras héroïque les libertés chancelantes de son pays; il a, dans l'intérieur de sa vie privée, reculé les bornes du possible par sa prodigieuse abnégation... Et lorsque, voyant sa tâche remplie, cet homme veut descendre de ce rang, dont il n'a connu, par sa volonté, que les misères, il reçoit l'insulle au liru des actions de grâces méritées, au lieu de la récompense, les mépris! El lorsque l'enfant adopté s'élant fail homme, et n'ayant plus besoin d'aide, cette homme achère son euvre, en livrant à votre justice le nom de l'assassin de son mattre, l'assassin le raille et le menace; et messieurs des états se jol- gnent à l'assassin pour l'accabler! Par le nom de Dieu! vous l'avez dit : il est temps que cesse ce scandale !... Messire Gauthier, ce ne sera point la parole d'un vilain qu'il vous faudra repousser aujourd'hui ; ce sera celle de Jean de Rieux. J'affirme sous serment que Julien d'Avangour est nort traitreusement par votre fait. Le commandeur voulut se récrier, mais le sire de Châteauneuf lui imposa rudement silence. Il fit le récit de la fin tragique du chevalier, et termina en affirmant de nouveau la vérité de son. dire. Nul n'avait ose interrompre le sire de Châteauneuf. Arthur était déjà dans les bras du cour- rier. Gauthier interrogea du regard les visages de ses collègues ; il lut sur chacun d'eux son arrêt; néanmoins, il voulut tenter un dernier effort. Messire Jean, dit-il en essayant de sourire, a dans la parole de maitre Rollan une confiance aveugle et méritoire. -Fi de moi, si je le niais ! s'écria le sire de Châteauneuf; mais je n'ai point juré sur sa foi seule aujourd'hui : vous souvient-il, Gauthier de Penneloz, de cette entrevue que vous eûtes jadis en mon hotel?... - Vous écoutiez ! interrompit le commandeur en pålissant. Mossieurs, dit Jean de Rieux d'une voix solennelle en s'adressant aux états, il ne s'agis- sait pas de moi, mais de vous tous; Rollan allait avoir entre ses mains les intérêts de la province entière; s'il eût été un trattre, je l'aurais tué de ma main... A présent, je dis, moi aussi : Que justice soit faite. Le commandeur, sans attendre le vote, se déclara prisonnier sur parole, et sortit incontinent. L'assemblée s'était divisée en groupes. Tous ces nobles, égarés un moment, mais gens de cœur et de courtoisie, reconnaissaient maintenant qu'il fallait à l'insulte publique une publique répara- tion. Il se fit une sorte de délibération spontanée, et M. de Coëtquen-Combourg, s'avancant vers l'estrade, offrit sa main dégantée au courrier. - Monsieur, dit-il, an nom des élats, je vous remercie; au nom de la noblesse, je vous offre réparation. Quels que soient vos rang et litres, il y aura toujours pour vous une place en cette en- ceinte, et ce nous sera grand honneur de siéger près d'un homme tel que vous. Certes, Rollan, au temps où il s'appelait Julien d'Avaugour, avait eu de bien autres et plus pompeuses glorifications; mais celle-ci était toute personnelle; sortie de la bouche d'un noble, au nom de la noblesse, elle s'adressait au pauvre courrier. Une larme descendit lentement sur sa joue. -Merci, Monseigneur, merci! dit-il d'une voix étouffée par l'émotion. Supplément à la 210 livraison. Source gallica.bnf.fr/Bibilothèque nationale de France