Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mait ni la pompe, ni les cérémonies : Je ne me trouvai jamais ni si vite, ni si complètement à l’aise, qu’en face du grand citoyen. — Il était assis dans un fauteuil bas, les jambes étendues, entouré de ses secrétaires, tous à l’ouvrage : des lignes profondes sillonnaient son front. Le travail semblait déborder, et l’appartement, et les hommes. Ils avaient l’air surmenés.

Sitôt que fut prononcé mon nom, Lincoln se leva, me tendit la main ; son sérieux visage s’éclaira, et je me sentis en présence d’une âme loyale, d’un homme que je pouvais aimer, respecter, en qui je pouvais me fier. Je lui expliquai qui j’étais, ce que j’avais fait : mes efforts pour le recrutement noir, mon but en sollicitant quelques moments d’entretien.

— Je vous connais, monsieur Douglass ! fit le président. Seward m’a parlé de vous : J’ai grand plaisir à vous voir. Exposez-moi vos desiderata.

Je les énumérai : — Même solde pour les enrôlés des deux races. — Même protection pour les prisonniers : échanges en cas ordinaires, représailles en cas d’atrocités. — Mêmes distinctions, mêmes promotions, pour les mêmes actes de valeur.

Lincoln écoutait en silence ; grave, troublé parfois. Quand j’eus achevé, reprenant les trois points :

— L’emploi des troupes de couleur, dit-il, constitue à lui seul, un avantage énorme pour votre race. La formation de régiments noirs, ne s’est pas opérée sans peine ; elle a froissé, elle froisse encore le préjugé populaire. Les noirs ont pour s’enrôler, de plus puissantes raisons que les blancs. Ce fait : servir dans l’armée,