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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

vilège, il est abandonné aux inspirations opposées du bien et du mal, de la saine raison et des passions aveugles, afin qu’il y ait pour lui lutte méritoire en vue de ses immortelles destinées ; il cherche et choisit, à ses risques et périls, pour sa grandeur future ou sa confusion, le vrai ou le faux, le juste ou l’injuste, le beau ou le laid. De là résulte en nous une certaine association de force morale et de faiblesse, d’erreur et de vérité, de lumière et de ténèbres, d’élan et de recul. L’animal, n’ayant pas à combattre comme nous le méritoire combat de la vie, est maintenant ce qu’il a toujours été, ce qu’il sera toujours ; il fait aujourd’hui ce qu’il faisait hier, ce qu’il fera demain ; depuis des siècles et des siècles, il le fait sans retouches, sans améliorations ni décadence, avec une logique inconsciente, mais infaillible, parce qu’elle est à tout jamais réglementée par l’universelle raison.

La vie des pics se passe à circuler de bas en haut autour des arbres pour ébranler du bec les vieilles écorces, abri des insectes, et pour sonder toutes les fissures avec leur langue pointue, qui s’allonge comme un ver dans les couloirs des larves perforantes. Ces oiseaux sont préposés à la garde des forêts ; ils inspectent surtout les arbres maladifs, taraudés par la vermine, et leur opèrent de salutaires sondages dans les points mortifiés. Parfois il leur arrive d’attaquer le vif, surtout en construisant leurs nids, et de compromettre la solidité de l’arbre par de profondes excavations. Mais ces dommages sont très largement compensés, et, sans hésitation, je donne aux pics le titre de gardes forestiers, titre mérité par leur guerre assidue aux insectes destructeurs du bois. Rarement ils quittent leur chantier de travail, le tronc et les maîtresses branches, pour descendre à terre, si ce n’est lorsqu’ils ont découvert une fourmilière, dont ils mangent les habitants avec délices. Ils établissent leur nid à une grande hauteur, au fond d’un trou rond ouvert à coups de bec dans le cœur d’un tronc d’arbre. Le matelas est fait de mousse et de laine. Les œufs, au nombre de quatre à six, sont, pour tous nos pics, blancs, lisses et lustrés comme de l’ivoire.