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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

des coucous en ce monde, les choses sont disposées pour que leur race ne s’éteigne pas ; et tous les œufs du nid sont couvés indistinctement avec la même assiduité, avec les mêmes soins maternels, enfin tous éclosent. Au début, cela ne va pas trop mal ; les petits exigent peu de nourriture, et, pour un convive de plus, les parents suffisent très bien à la recherche des vermisseaux. La pâtée est équitablement répartie, pas plus pour les fils de la maison que pour l’étranger.

Mais voilà que le jeune coucou est de croissance plus rapide que les autres ; il lui faut bientôt à lui seul toute la nourriture que peuvent se procurer la mère et le père adoptifs en s’exténuant à la peine ; il ouvre à tout instant son large bec, il se plaint toujours de la faim. Puis il est trop à l’étroit dans la petite maison de crin et de laine. Son corps sans plumes, aplati et rougeaud, sa tête large, son bec, gouffre insatiable, ses gros yeux saillants, lui donnent l’aspect d’un crapaud installé au fond du nid. Il n’y a plus assez de place pour tous à la maison, il n’y a plus assez de vivres. Ici se perpètre une œuvre abominable. Le jeune coucou, s’aidant du croupion et des ailes, se glisse sous l’un des petits oiseaux dont il partage le berceau, le place sur son dos, creusé à dessein en cuvette, et l’y retient avec les ailes un peu relevées. Alors, se traînant à reculons jusqu’au bord élevé du nid, il se repose un instant, fait un effort et jette sa charge dehors.

Émile. — Le misérable jette hors du nid les petits de la fauvette qui le nourrit ?

Paul. — Tout tranquillement, pour avoir plus grosse part. Du bout des ailes, il tâte un moment derrière lui pour s’assurer du succès de son forfait, et redescend au fond du nid pour se charger d’un autre oisillon. Tous y passent l’un après l’autre jusqu’au dernier, tous sont jetés hors du nid.

Émile. — Si je me trouvais là, canaille de coucou !

Paul. — Que deviennent-ils, les pauvrets, ainsi mis à la porte de chez eux par le perfide intrus ? Si le nid est élevé, tous périssent, écrasés par leur chute, et les fourmis se mettent incontinent à les disséquer. S’il est bas, quelques-uns survivent aux contusions et se réfugient dans la mousse, où la mère va les consoler et leur apporter à manger. Le coucou reste seul.

Jules. — J’espère bien que cet affreux crapaud va maintenant périr de faim dans le nid. Le père et la mère, dont la