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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

cette habitude. Comme elles n’ont pas la faculté de rassembler les plumes en pelotes dans leur estomac pour les rejeter ensuite à la manière des chouettes, elles ont la précaution d’approprier le gibier en le dépouillant de sa peau par lambeaux. C’est une façon de plumer très expéditive. Malgré ses traîtres appels, parfaitement imités, l’écorcheur n’a pas tous les jours la bonne fortune de faire des dupes ; la méfiance des petits oiseaux déjoue ses perfides talents. La pie-grièche se contente alors de souris, de mulots, de sauterelles, de hannetons et de gros scarabées, surtout de ceux dont les larves vivent dans la vermoulure des arbres. Sa passion pour le scarabée est si vive, qu’une fois repue elle continue ses chasses uniquement pour le plaisir de chasser. Ne sachant plus que faire des insectes capturés, elle les embroche aux épines des buissons. Peut-être se monte-t-elle ainsi un garde-manger, où les viandes se faisandent et prennent un fumet de son goût.

Les autres pies-grièches ont également cette manie de se faire des réserves de coléoptères embrochés aux épines, réserves que l’oiseau ne visite pas toujours et qui sèchent sur place sans usage. Mais peu importe ce gaspillage de gibier, le résultat final pour nous est excellent : nous sommes délivrés de pas mal d’ennemis par ces fervents chasseurs. Après de tels services, leur ferons-nous un crime irrémissible de se permettre parfois le régal d’un oisillon ? Pour ma part, j’hésite fort. Je plains de tout mon cœur le pauvre petit oiseau qui donne étourdiment dans les embûches de la pie-grièche, mais je plains aussi le bel arbre qui, privé de défenseurs, serait livré aux larves de capricornes et criblé de trous pleins de pourriture.

L’écorcheur fréquente les bosquets, les vergers, les jardins. Il niche dans les haies touffues, parfois entre les branches enchevêtrées des pommiers. Les œufs sont blancs, légèrement lavés de roux. La couronne du gros bout se compose de taches brunes, grises et verdâtres. Dans la construction du nid il entre une sorte d’immortelle sauvage[1], fréquente dans les champs et dont la lige et les feuilles sont abondamment couvertes d’une bourre cotonneuse blanche. L’intérieur se

  1. Ce sont les filago et micropus des botanistes, erbo d’ou tarnagas (herbe de la pie-grièche) de la Provence.