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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

bec effilé ; les ailes ne viennent qu’en seconde ligne. Voici maintenant d’autres tribus qui se livrent à la grande chasse aérienne, qui poursuivent au vol, dans les plaines de l’air, moucherons, phalènes, teignes, cousins, scarabées. Il leur faut un bec court, mais très largement ouvert, qui happe sûrement les moucherons au passage, malgré les incertitudes d’un élan non toujours maîtrisé, un bec où la proie s’engouffre toute seule sans que l’oiseau ralentisse un instant son essor, enfin un bec visqueux à l’intérieur, et tel qu’un petit papillon ne puisse l’effleurer de l’aile sans rester pris à la glu. La gueule de la chauve-souris, cet autre ardent chasseur au vol, la gueule de la chauve-souris fendue d’une oreille à l’autre, en doit être le modèle pour l’ampleur d’ouverture. Mais il faut avant tout des ailes infatigables, rapides, que ne lasse pas la fuite désespérée d’un gibier lancé à toute vitesse, que ne surprenne pas l’essor tortueux d’une phalène aux abois. Bec démesurément fendu, ailes excessives, tel doit être en résumé l’oiseau des grandes chasses aériennes.

En tête est l’hirondelle, chauve-souris du plein jour, comme la chauve-souris est l’hirondelle des premières ombres de la nuit. L’une et l’autre chassent les insectes volants ; elles les poursuivent en des allées et des venues sans fin, croisées et recroisées de mille façons ; elles les gobent dans leur large gosier et passent outre sans un instant d’arrêt. Mais de combien l’hirondelle l’emporte en grâces de formes, en prestesse de vol, sur son collaborateur nocturne, la triste chauve-souris ! Si la comparaison est possible pour les services rendus et la manière de chasser, sous tout autre rapport elle n’est plus permise.

« Le vol est l’état naturel de l’hirondelle, je dirais presque son état nécessaire. Elle mange en volant, elle boit en volant, se baigne en volant et quelquefois donne à manger à ses petits en volant. Elle coule dans l’air sans effort, avec aisance ; elle sent que l’air est son domaine ; elle en parcourt toutes les dimensions et dans tous les sens, comme pour en jouir dans tous les détails, et le plaisir de cette jouissance se marque par de petits cris de gaieté. Tantôt elle donne la chasse aux insectes voltigeants, et suit avec une agilité souple leur trace oblique et tortueuse, ou bien quitte l’un pour courir à l’autre, et frappe en passant un troisième ; tantôt elle rase légèrement la surface de la terre et des eaux, pour saisir ceux que