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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

hasard, qui se laissent mollement couler dans l’air, pour le seul plaisir d’exercer leurs ailes ; d’autres décrivent des cercles que croisent indéfiniment de nouveaux cercles ; d’autres piquent une tête dans les hauteurs verticales, planent un moment sans remuer les ailes, puis les agitent d’un mouvement précipité, ou se laissent choir de haut comme un oiseau blessé ; d’autres suivent la direction d’une rue : ils joutent de vélocité pour en atteindre le bout opposé, revenir au point de départ et recommencer ; d’autres, criant à la fois, tourbillonnent en essaim autour de quelque édifice élevé. Quel est celui-ci, qui accourt si pressé ? Il passe en trois coups d’ailes ; le voilà déjà perdu dans la brume de l’éloignement. Quelle fougue, mes amis ! quel essor !

Émile. — J’ai fait bien souvent un souhait en regardant voler les martinets. Que n’ai-je leurs ailes pour me transporter sur la haute montagne bleue que nous voyons d’ici ! que n’ai-je leur vol pour aller sur la cime me baigner dans l’air frais, parmi les nuages, et revenir ensuite avec la même rapidité !

Paul. — Ce souhait, mon petit ami, nous passe à tous par l’esprit ; il nous arrive à tous d’envier les ailes du martinet ; mais certainement nul ne songerait à désirer ses pieds.

Émile. — Et pourquoi ?

Paul. — Ils sont si courts, si gauchement conformés, que l’oiseau ne peut en aucune manière s’en servir pour marcher. Les doigts sont tous les quatre dirigés en avant. C’est vous dire que le martinet ne perche pas, puisqu’il ne peut saisir l’appui d’une branche ; il n’a que la ressource de s’accrocher aux murs pour se reposer un instant et puis reprendre l’essor, en se laissant tomber comme le font les chauves-souris.

« Les martinets volent par nécessité. D’eux-mêmes, ils ne se posent jamais à terre ; et s’ils y tombent par quelque accident, ils ne se relèvent qu’avec une difficulté extrême, en se traînant sur une petite motte, en grimpant du bec et des griffes sur une pierre, d’où ils puissent déployer leurs longues ailes. Si le terrain est tout plat, ils gisent couchés sur le ventre, se trémoussent dans un inutile balancement de droite et de gauche ou progressent un peu en battant le sol de leurs ailes. Après bien des efforts, ils parviennent parfois à s’envoler. La terre est donc pour eux un vaste écueil qu’il faut éviter avec le plus grand soin. Ils n’ont guère que deux manières d’être : le mouvement violent ou le repos absolu. S’agiter dans les