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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

que l’animal les use par une friction continuelle, sinon leurs couronnes s’éloigneraient l’une de l’autre et ne pourraient plus, tôt ou tard, se rejoindre. Incapable dès lors de saisir sa nourriture, la pauvre bête périrait. Pour pouvoir manger lorsqu’ils ont faim, le rat et le lapin doivent manger alors même qu’ils n’ont pas faim, dans le but de s’aiguiser les incisives et de les maintenir à la longueur voulue. Il est vrai qu’ils s’adressent alors à des matières peu substantielles. Un brin de bois, un fétu de paille, un rien suffit pour entretenir le jeu de leurs infatigables incisives. Rappelez-vous, mes amis, le terme expressif de rongeurs, par lequel on désigne toute une catégorie d’animaux analogues au lapin et au rat ; rappelez-vous leurs curieuses incisives ; nous aurons occasionDents d’un rongeur.
Dents d’un rongeur.
d’y revenir plus tard. Achevons, pour le moment, l’examen du râtelier du lapin.

Les canines manquent ; à leur place, les mâchoires présentent une barre, c’est-à-dire un large intervalle vide. Tout au fond de la bouche sont les molaires, peu nombreuses, mais fortes, à couronne plate, et armées de quelques replis d’émail. En somme, elles constituent une excellente machine à triturer.

En vous donnant ces quelques détails sur la forme des dents, si variable d’une espèce à l’autre, j’avais surtout en vue d’établir la vérité suivante. Chaque espèce est adonnée à un genre particulier de nourriture pour lequel les dents sont expressément conformées ; on pourrait dire de la bête : « Montre-moi ton râtelier, et je dirai ce que tu manges. » Bien des fois, l’observation nous faisant défaut, nous ignorons de quoi se nourrit tel ou tel autre animal, et, dans nos jugements précipités, nous confondons l’ennemi avec l’ami, le ravageur avec l’auxiliaire. Si la bête est disgracieuse, sans plus ample