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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

Enfin, à la base de chaque crochet se trouve une petite poche pleine du liquide venimeux. C’est une humeur d’innocent aspect, sans odeur, sans saveur ; on dirait presque de l’eau. Quand la vipère frappe de ses crochets, la poche à venin chasse une goutte de son contenu dans le canal de la dent, et le terrible liquide s’infiltre dans la blessure. C’est en se mélangeant avec le sang que le venin produit ses effrayants effets.

Jules. — Je me rappelle très bien tout cela, ainsi que les moyens qu’il faut prendre pour empêcher le venin de se propager dans la masse du sang.

Paul. — La vipère, vous disais-je encore, habite de préférence les collines chaudes et rocailleuses ; elle se tient sous les pierres et dans les fourrés de broussailles. Sa couleur est brune ou roussâtre. Elle a sur le dos une bande sombre en zigzag, et sur chaque flanc une rangée de taches dont chacune correspond à un des angles rentrants de la bande dorsale. Son ventre est d’un gris ardoisé. Sa tête est un peu triangulaire, plus large que le cou, obtuse et comme tronquée en avant. La vipère est timide et peureuse ; elle n’attaque l’homme que pour sa défense. Ses mouvements sont brusques, irréguliers, pesants.

Jules. — De quoi se nourrit-elle, la vipère ? mange-t-elle seulement des insectes, ramassés avec la langue ?

Paul. — Sa nourriture principale consiste en une proie plus forte, qui exige l’emploi de l’arme venimeuse. Les petits rats des champs, les mulots, les campagnols, les taupes, quelquefois les grenouilles et même les crapauds, sont ses habituelles victimes. L’animal surpris par le reptile est d’abord piqué avec les crochets à venin ; une prompte agonie est la conséquence de cette blessure. Quand la proie est morte, la vipère l’enlace de ses replis, la presse avec force et la pétrit en quelque sorte pour l’amincir, car elle doit l’avaler en une seule bouchée, serait-elle plus grosse que son corps. Cette préparation terminée, la gueule bâille tant qu’elle peut, les deux mâchoires semblent se disjoindre, et de leurs dents pointues, recourbées vers le gosier, happent la tête du campagnol ou du mulot. Un flot de salive inonde alors le cadavre pour le rendre plus glissant ; mais la bouchée est si volumineuse, que la vipère ne vient à bout de l’engloutir qu’avec une peine extrême. Le gosier se dilate et se contracte, les mâchoires se meuvent alternativement de droite et de gauche pour faire