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on ouvrit sa prison roulante, où il était enfermé depuis la veille, j’eus de la peine à reconnaître mon vieux matou. Il sortit de là un animal redoutable, au poil hérissé, aux yeux injectés de sang, aux lèvres blanchies de bave, griffant et soufflant. Je le crus enragé, et quelque temps le surveillai de près. Je me trompais : c’était l’effarement de l’animal dépaysé. Avait-il eu de graves affaires avec le voiturier au moment d’être saisi ? Avait-il souffert en voyage ? L’histoire là-dessus reste muette. Ce que je sais bien, c’est que l’animal semblait perverti : plus de ronrons amicaux, plus de frictions contre nos jambes ; mais un regard assauvagi, une sombre tristesse. Les bons traitements ne purent l’adoucir. Il traîna ses misères d’un recoin à l’autre encore quelques semaines, puis un matin je le trouvai trépassé dans les cendres du foyer. Le chagrin l’avait tué, la vieillesse aidant. Serait-il revenu à Avignon s’il en avait eu la force ? Je n’oserais l’affirmer. Je trouve du moins très remarquable qu’un animal se laisse mourir de nostalgie parce que les infirmités de l’âge l’empêchent de retourner au pays.

Ce que le patriarche n’a pu tenter, un autre va le faire, avec une distance bien moindre, il est vrai. Un nouveau déménagement est résolu pour trouver à la fin des fins la tranquillité nécessaire à mes travaux. Cette fois-ci ce sera le dernier, je l’espère bien. Je quitte Orange pour Sérignan.

La famille des Jaunets s’est renouvelée : les anciens ne sont plus, de nouveaux sont venus, parmi lesquels un matou adulte, digne en tous points de ses ancêtres. Lui seul donnera des difficultés ; les autres, jeunes et chattes, déménageront sans tracas. On les met dans