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inégal du balai, qui a laissé en place des parcelles de l’odorante poussière. Les fourmis qui ont contourné la partie balayée peuvent avoir été guidées par les déblais rejetés latéralement. Avant de se prononcer pour ou contre l’odorat, il convient donc de recommencer l’expérience dans des conditions meilleures, il convient d’enlever radicalement toute matière odorante.

Quelques jours après, mon plan bien arrêté, Lucie se remet en observation et ne tarde pas à m’annoncer une sortie. J’y comptais, car les Amazones manquent rarement d’aller en expédition dans les après-midi lourdes et chaudes de juin et de juillet, surtout si le temps fait menace de devenir orageux. Les cailloux du Petit Poucet jalonnent encore le trajet, sur lequel je choisis le point le plus favorable à mes desseins.

Un tuyau de toile servant à l’arrosage du jardin est fixé à l’une des prises d’eau du bassin ; la vanne est ouverte, et la route des fourmis se trouve coupée par un torrent continu de la largeur d’un bon pas et d’une longueur illimitée. La nappe d’eau coule d’abord abondante et rapide, afin de bien laver le sol et de lui enlever tout ce qui pourrait être odorant. Ce lavage à grande eau dure près d’un quart d’heure puis, quand les fourmis s’approchent, revenant du butin, je diminue la vitesse d’écoulement et réduis l’épaisseur de la nappe liquide pour ne pas outrepasser les forces de l’insecte. Voilà l’obstacle que les Amazones doivent franchir, s’il leur est absolument nécessaire de suivre la première piste.

Ici l’hésitation est longue, les traînards ont le temps de rejoindre la tête de la colonne. Cependant on s’engage dans le torrent à la faveur de quelques graviers