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exondés ; puis le fond manque, et le courant entraîne les plus téméraires, qui, sans lâcher leur prise, s’en vont à la dérive, échouent sur quelque haut-fond, regagnent la rive et recommencent leurs recherches d’un gué. Quelques fétus de paille apportés par les eaux s’arrêtent çà et là : ce sont des ponts branlants où les fourmis s’engagent. Des feuilles sèches d’olivier deviennent des radeaux avec cargaison de passagers. Les plus vaillants, un peu par leurs propres manœuvres, un peu par d’heureuses chances, gagnent, sans intermédiaires, la rive opposée. J’en vois qui, entraînés par le courant à deux ou trois pas de distance, sur l’un et l’autre rivage, semblent fort soucieux de ce qu’ils ont à faire. Au milieu de ce désordre de l’armée en déroute, au milieu des périls de la noyade, aucun ne lâche son butin. Il s’en garderait bien : plutôt la mort. Bref, le torrent est franchi tant bien que mal, et cela par la piste réglementaire.

L’odeur de la voie ne peut être en cause, ce me semble, après l’expérience du torrent, qui a lavé le sol quelque temps à l’avance et qui d’ailleurs renouvelle ses eaux tant que dure la traversée. Examinons maintenant ce qui se passera lorsque l’odeur formique, s’il y en a une sur la piste, en effet, sera remplacée par une autre incomparablement plus forte, et sensible à notre odorat, tandis que la première ne l’est pas, du moins dans les conditions que je discute ici.

Une troisième sortie est épiée, et sur un point de la voie suivie, le sol est frotté avec quelques poignées de menthe que je viens de couper à l’instant dans une plate-bande. Avec le feuillage de la même plante, je recouvre la piste un peu plus loin. Les fourmis, reve-