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visiter l’épineux fourré lorsque l’hyménoptère y butine, il faut des bottes montant à mi-jambe ou se résigner à de sanglants chatouillements dans les mollets. Tant que le sol conserve quelques restes des pluies printanières, cette rude végétation ne manque pas d’un certain charme, lorsque au-dessus du tapis général, fumé par les capitules jaunes de la centaurée solsticiale, s’élèvent les pyramides du scolyme et les jets élancés de l’onoporde ; mais viennent les sécheresses de l’été, et ce n’est plus qu’une étendue désolée où la flamme d’une allumette communiquerait d’un bout à l’autre l’incendie. Tel est, ou plutôt tel était lorsque j’en pris possession, le délicieux Eden où je compte vivre désormais en tête à tête avec l’insecte. Quarante ans de lutte à outrance me l’ont valu.

J’ai dit Eden, et au point de vue qui m’occupe l’expression n’est pas déplacée. Ce terrain maudit, dont nul n’eût voulu pour y confier une pincée de graines de navet, se trouve un paradis terrestre pour Hyménoptères. Sa puissante végétation de chardons et de centaurées me les attire tous à la ronde. Jamais, en mes chasses entomologiques, je n’avais vu réunie en un seul point pareille population ; tous les corps de métier s’y donnent rendez-vous. Il y a là des chasseurs en tout genre de gibier, des bâtisseurs en pisé, des ourdisseurs en cotonnades, des assembleurs de pièces taillées dans une feuille ou les pétales d’une fleur, des constructeurs en cartonnage, des plâtriers gâchant l’argile, des charpentiers forant le bois, des mineurs creusant des galeries sous terre, des ouvriers travaillant la baudruche ; que sais-je enfin ?

Quel est celui-ci ? C’est un Anthidie. Il râtisse la tige