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le rapport de la soudaineté, d’où cela peut-il provenir ? De ce que le liquide employé, l’ammoniaque, ne peut soutenir la comparaison, pour l’efficacité meurtrière, avec le venin de la Lycose, venin assez redoutable, on va le voir.

Je fais mordre à la jambe un jeune moineau, bien emplumé, prêt à quitter le nid. Une goutte de sang coule ; le point atteint s’entoure d’une aréole rougeâtre, puis violacée. Presque immédiatement l’oiseau ne peut se servir de sa patte, qui est traînante, avec les doigts recroquevillés ; il sautille sur l’autre. Du reste, le patient n’a pas l’air de si bien se préoccuper de son mal ; il a l’appétit bon. Mes filles le nourrissent de mouches, de mie de pain, de pulpe d’abricot. Il se rétablira, il prendra des forces ; la pauvre victime des curiosités de la science sera rendue à la liberté. C’est notre souhait à tous, notre projet. Douze heures après, l’espoir de guérison s’accroît ; l’infirme accepte très volontiers la nourriture ; il la réclame si l’on tarde trop. Mais la patte est toujours traînante. Je crois à une paralysie temporaire, qui se dissipera bientôt. Le surlendemain, la nourriture est refusée. S’enveloppant de son stoïcisme et de ses plumes ébouriffées, l’oisillon fait la boule, tantôt immobile, tantôt pris de soubresauts. Mes filles le réchauffent de l’haleine dans le creux de la main. Les convulsions deviennent plus fréquentes. Un bâillement annonce que c’est fini. L’oiseau est mort.

Au repas du soir, il y eut entre nous quelque froid. Je lisais dans le regard de mon entourage de muets reproches sur mon expérience, je sentais autour de moi une vague accusation de cruauté. La fin du misérable moineau avait contristé toute la famille. Moi-même