Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, deuxième série, 1894.pdf/24

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ville pour le village, et suis venu à Sérignan sarcler mes navets, arroser mes laitues.

On fonde à grands frais sur nos côtes océaniques et méditerranéennes des laboratoires où l’on dissèque la petite bête marine, de maigre intérêt pour nous ; on prodigue puissants microscopes, délicats appareils de dissection, engins de capture, embarcations, personnel de pêche, aquariums, pour savoir comment se segmente le vitellus d’un Annélide, choses dont je n’ai pu saisir encore toute l’importance, et l’on dédaigne la petite bête terrestre, qui vit en perpétuel rapport avec nous, qui fournit à la psychologie générale des documents d’inestimable valeur, qui trop souvent compromet la fortune publique en ravageant nos récoltes. À quand donc un laboratoire d’entomologie où s’étudierait, non l’insecte mort, macéré dans le trois-six, mais l’insecte vivant ; un laboratoire ayant pour objet l’instinct, les mœurs, la manière de vivre, les travaux, les luttes, la propagation de ce petit monde, avec lequel l’agriculture et la philosophie doivent très sérieusement compter. Savoir à fond l’histoire du ravageur de nos vignes serait peut-être plus important que de savoir comment se termine tel filet nerveux d’un Cirrhipède ; établir expérimentalement la démarcation entre l’intelligence et l’instinct, démontrer, en comparant les faits dans la série zoologique, si oui ou non la raison humaine est une faculté irréductible, tout cela devrait bien avoir le pas sur le nombre d’anneaux de l’antenne d’un crustacé. Pour ces énormes questions, une armée de travailleurs serait nécessaire, et il n’y a rien. La mode est au mollusque et au zoophyte. Les profondeurs des mers sont explorées à grand renfort de dragues ; le sol que nous foulons