Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, deuxième série, 1894.pdf/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à voir pour le moment. Une seconde expédition a lieu, plus longue que la première, et quoique ma retraite se soit opérée sans grande précipitation, aucune Anthophore ne m’a atteint de son dard, ne s’est même montrée disposée à fondre sur l’agresseur.

Ce succès m’enhardit. Je reste en permanence devant les constructions, abattant sans relâche des mottes pleines de cellules, et au milieu du désordre inévitable, répandant à terre le miel liquide, éventrant des larves, écrasant les Anthophores occupées dans leur nid. Toutes ces dévastations n’arrivent à éveiller dans l’essaim qu’un murmure plus sonore, sans être suivies d’aucune démonstration hostile de sa part. Les Anthophores dont les cellules ne sont pas atteintes s’occupent de leurs travaux comme si rien d’extraordinaire ne se passait à côté ; celles dont les habitations sont bouleversées tâchent de les réparer, ou planent, éperdues, devant leurs ruines ; mais aucune ne paraît vouloir fondre sur l’auteur du dégât ; tout au plus quelques-unes, plus irritées, me viennent, par intervalles, planer devant le visage, face à face, à une paire de pouces de distance, puis s’envolent après quelques instants de ce curieux examen.

Malgré le choix d’un emplacement commun pour les nids, qui ferait croire à un commencement de communauté d’intérêts entre les Anthophores, ces hyménoptères obéissent donc à la loi égoïste de chacun pour soi, et ne savent pas se liguer pour repousser un ennemi qui les menace tous. Chaque Anthophore prise isolément ne sait pas même se précipiter sur l’ennemi qui ravage ses cellules et l’écarter à coups d’aiguillon : la pacifique bête quitte à la hâte sa demeure ébranlée